Désolations, tragédie du monde moderne
Désolations
de David Vann
«
Une nouvelle concentration derrière son œil droit, une faille géologique, les os de son crâne semblables à des plaques tectoniques mobiles, leurs bords crissant les uns contre les autres.
Chaque jour son unique but ne consistait plus qu'à survivre à la
journée, chaque nuit d'insomnie, son unique but ne consistait plus
qu'à survivre à la nuit. Réduite à sa propre existence, à une
simple survie, et il y avait peut-être du bon dans tout cela,
quelque chose d'honnête. » (p.228)
Ce
roman propose une version modernisée et américaine de la tragédie
grecque...
Un seul lieu, l'Alaska, tout en hostilité et en agressivité, des moustiques aux pluies glaciales, et que tous les personnages du roman ou presque cherchent à fuir... sauf Gary, la cinquantaine, universitaire raté, comme passé à côté de sa propre vie, et qui n'a plus qu'un seul rêve, qu'un seul objectif, qu'une seule obsession : vivre dans une cabane de trappeurs, construite de ses propres mains, sur une petite île, au beau beau milieu d'un lac sauvage.
Une
seule action, la construction de cette cabane, malgré le froid,
l'amateurisme, et la migraine épouvantable de son épouse, Irène,
embarquée bien malgré elle dans cette folie qu'elle ne comprend
pas. Rondin après rondin, clou après clou, une fenêtre, puis une
porte, c'est en réalité à une déconstruction que l'on assiste,
une démolition, celle de leur mariage d'abord, puisqu'à l'aube de
cette retraite du monde, Irène et Gary réalisent à quel point ils
ne se comprennent pas, à quel point ensemble, ils se sont trompés.
Rondin après rondin, clou après clou, dans la douleur de la
migraine, c'est la rancœur qui s'exprime, d'abord dans le silence
des crânes, puis haut et fort, dans une violence éclatante.
Un
seul temps, celui de fabrication de la cabane, dont chaque coup de
marteau, répercuté violemment dans nos cerveaux comme dans celui de
la migraineuse Irène, nous rapproche un peu plus du dénouement,
tragique, forcément.
Un
roman qui travaille le mythe moderne du retour au source, la promesse
du bonheur retrouvé au plus près de la nature, mais cet idéal est
discrètement et très sûrement sapé de l'intérieur par les
portraits subtils que l'auteur fait, en particulier des personnages
secondaires. Les chiens prennent des bains antipuces chez le
vétérinaire, les messieurs cultivent la beauté de leur corps grâce
à de coûteux appareils de musculation , les femmes se font emmener
sur les magnifiques glaciers à coup de voyages en hélicoptères
hors de prix, jusqu'à notre Gary et son rêve de vie rustique, qui
manque de chavirer sur le lac à force d'entasser sur son zodiac des
boîtes de conserves pour son île... La représentation sans
concessions d'une société occidentale où l'amour n'est plus et qui
court à sa perte... Anaïs T.
En espérant donner un peu le goût de lire... et surtout recevoir en retour commentaires et mieux : des idées de lecture !
RépondreSupprimer