dimanche 10 février 2013

Désolations, de David Vann***


Désolations, tragédie du monde moderne
Lu le 10 février 2013

Désolations de David Vann
roman américain, 2011 (éd.Gallmeister), 326p.


«  Une nouvelle concentration derrière son œil droit, une faille géologique, les os de son crâne semblables à des plaques tectoniques mobiles, leurs bords crissant les uns contre les autres. Chaque jour son unique but ne consistait plus qu'à survivre à la journée, chaque nuit d'insomnie, son unique but ne consistait plus qu'à survivre à la nuit. Réduite à sa propre existence, à une simple survie, et il y avait peut-être du bon dans tout cela, quelque chose d'honnête. » (p.228)

Ce roman propose une version modernisée et américaine de la tragédie grecque...

Un seul lieu, l'Alaska, tout en hostilité et en agressivité, des moustiques aux pluies glaciales, et que tous les personnages du roman ou presque cherchent à fuir... sauf Gary, la cinquantaine, universitaire raté, comme passé à côté de sa propre vie, et qui n'a plus qu'un seul rêve, qu'un seul objectif, qu'une seule obsession : vivre dans une cabane de trappeurs, construite de ses propres mains, sur une petite île, au beau beau milieu d'un lac sauvage.
Une seule action, la construction de cette cabane, malgré le froid, l'amateurisme, et la migraine épouvantable de son épouse, Irène, embarquée bien malgré elle dans cette folie qu'elle ne comprend pas. Rondin après rondin, clou après clou, une fenêtre, puis une porte, c'est en réalité à une déconstruction que l'on assiste, une démolition, celle de leur mariage d'abord, puisqu'à l'aube de cette retraite du monde, Irène et Gary réalisent à quel point ils ne se comprennent pas, à quel point ensemble, ils se sont trompés. Rondin après rondin, clou après clou, dans la douleur de la migraine, c'est la rancœur qui s'exprime, d'abord dans le silence des crânes, puis haut et fort, dans une violence éclatante.
Un seul temps, celui de fabrication de la cabane, dont chaque coup de marteau, répercuté violemment dans nos cerveaux comme dans celui de la migraineuse Irène, nous rapproche un peu plus du dénouement, tragique, forcément.

Un roman qui travaille le mythe moderne du retour au source, la promesse du bonheur retrouvé au plus près de la nature, mais cet idéal est discrètement et très sûrement sapé de l'intérieur par les portraits subtils que l'auteur fait, en particulier des personnages secondaires. Les chiens prennent des bains antipuces chez le vétérinaire, les messieurs cultivent la beauté de leur corps grâce à de coûteux appareils de musculation , les femmes se font emmener sur les magnifiques glaciers à coup de voyages en hélicoptères hors de prix, jusqu'à notre Gary et son rêve de vie rustique, qui manque de chavirer sur le lac à force d'entasser sur son zodiac des boîtes de conserves pour son île... La représentation sans concessions d'une société occidentale où l'amour n'est plus et qui court à sa perte...        Anaïs T.

1 commentaire:

  1. En espérant donner un peu le goût de lire... et surtout recevoir en retour commentaires et mieux : des idées de lecture !

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