dimanche 12 janvier 2014

Les Particules élémentaires** de Michel Houellebecq


Achevé le 5 janvier 2014

Les Particules élémentaires de Michel Houellebecq
roman français, 1998 (éd. Flammarion), 393 p.

Et si, quinze après, on relisait Houellebecq ? Petit florilège d'extraits tirés de l'histoire de deux frères, dont le point commun principal serait l'inadaptation à la société d'aujourd'hui : deux itinéraires de vie manqués. 

 

«  Pour l'Occidental contemporain, même lorsqu'il est bien portant, la pensée de la mort constitue une sorte de bruit de fond qui vient emplir son cerveau dès que les désirs ou les projets s'estompent. L'âge venant, la présence de ce bruit se fait de plus en plus envahissante ; on peut le comparer à un ronflement sourd, parfois accompagné d'un grincement. A d'autres époques, le bruit de fond était constitué par l'attente du Royaume du Seigneur ; aujourd'hui il est constitué par l'attente de la mort. C'est ainsi.
Huxley, il s'en souviendrait toujours, avait paru indifférent à la perspective de sa propre mort ; mais il était peut-être simplement abruti, ou drogué. » (p.104)

« Le catalogue des 3 Suisses, pour sa part, semblait faire une lecture plus historique du malaise européen. Implicite dès les premières pages, la conscience d'une mutation de civilisation à venir trouvait sa formulation définitive en page 17 ; Michel médita plusieurs heures sur le message contenu dans les deux phrases qui définissaient la thématique de la collection : « Optimisme, générosité, complicité, harmonie font avancer le monde. DEMAIN SERA FEMININ. » » (p.153)

« Au fond, se demandait Michel en observant les mouvements du soleil sur les rideaux, à quoi servaient les hommes ? Il est possible qu'à des époques antérieures, où les ours étaient nombreux, la virilité ait pu jouer un rôle spécifique et irremplaçable ; mais depuis quelques siècles, les hommes ne servaient visiblement à peu près plus à rien. Ils trompaient parfois leur ennui en faisant des parties de tennis, ce qui était un moindre mal ; mais parfois aussi ils estimaient utile de faire avancer l'histoire, c'est-à-dire essentiellement de provoquer des révolutions ou des guerres. » (p.205)

« Il est difficile d'imaginer plus con, plus agressif, plus insupportable qu'un pré-adolescent, spécialement lorsqu'il est réuni avec d'autres garçons de son âge. Le pré-adolescent est un monstre doublé d'un imbécile, son conformisme est presque incroyable ; le pré-adolescent semble la cristallisation subite, maléfique (et imprévisible si l'on considère l'enfant) de ce qu'il y a de pire en l'homme. » (p.209)

vendredi 3 janvier 2014

Lointain souvenir de la peau** de Russel Banks


Achevé le 2 janvier 2014

Lointain souvenir de la peau de Russel Banks
roman américain, 2011 (éd. Babel), 529 p.

«  Il n'a qu'à aller, via Google, sur le site du registre national des délinquants sexuels. Là, cliquer sur trouver les délinquants, puis chercher par lieu et entrer le nom Calusa. Une carte apparaîtra, parsemée de petites cases colorées : chaque case représente le lieu où demeure un délinquant sexuel condamné et sa couleur, rouge, jaune, bleue ou verte, indique la nature du délit. Le rouge désigne les actes perpétrés contre des enfants ; le jaune marque le viol ; le bleu, l'agression sexuelle ; et le vert dénote les « autres délits » (…). » (p.140)




Je n'ai jamais oublié la lecture d'un autre des romans de Russel Banks, Sous le règne de Bone, qui racontait déjà l'histoire à la dérive d'un ado américain en marge : dur et troublant. Avec Lointains souvenirs de la peau Russel Banks évoque la déviance et surtout l'extrême solitude.
Le Kid a une vingtaine d'années, il vit avec un iguane sous un échangeur d'autoroute, avec d'autres délinquants sexuels condamnés comme lui au port d'un bracelet électronique pour s'assurer qu'ils ne s'approcheront pas à moins de plusieurs centaines de mètres du moindre enfant. Dans cette ville de Floride, il ne reste à ces rebuts de la société que les zones inhumaines : les autoroutes ou les marais.
Le Kid n'a pas été bien aimé par sa mère, il n'a pas eu de camarades à l'école, pas de petite amie, et même l'armée américaine n'a pas su l'accueillir. Son seul ami, Iggy l'iguane. Alors la tendresse, il l'a trouvée sur les lumières rassurantes de la toile, internet comme substitut maternel, puis rapidement comme seul exutoire sexuel, le Kid est devenu dépendant aux sites pornographiques, comme des millions d'adolescents. Lorsqu'à vingt ans il rencontre sur un chat brandi18, c'est la toute première fois qu'il parvient à s'abstraire de sa fascination pour les films porno, et qu'il s'apprête à rencontrer un être humain de chair, avec toutes ses promesses de chaleur, de tendresse et peut-être d'amour. Mais voilà, Brandi a 14 ans, et dans cette société américaine bien pensante, le Kid est un criminel pédophile, et la sanction tombe, le coupant définitivement, ou tout comme, de toute relation humaine authentique : en tous cas, il se le promet, on ne l'y reprendra plus.
Mais c'est sans compter sans le Professeur, étrange personnage qui fait son apparition dans la vie du Kid en même temps que dans la littérature américaine : jamais je n'avais croisé dans mes lectures un tel personnage ! D'une intelligence extrême, il est présenté comme l'homme potentiellement le plus brillant de Floride ; cet universitaire est aussi physiquement stupéfiant par son obésité hors normes, extraordinaire, même pour ce pays particulièrement concerné par ce fléau du surpoids. Et voilà que ce génie éléphantesque s'intéresse au Kid. Qui est-il ? Un sociologue désireux de tenter une expérimentation dont le Kid serait le cobaye ? Un pédophile ? Un agent secret ? Un contre espion ? Et voilà relancé du même coup de façon très inattendue le récit de Russel Banks... Un très bon roman qui questionne brutalement la société occidentale et ses réseaux numériques de solitude... Anaïs T.