vendredi 19 juin 2015

David Vann, Dernier jour sur terre ***


Achevé le 16 juin 2015

Les tueries de masse ou  le cauchemar américain encore et encore


Dernier jour sur terre de David Vann
roman américain, 2014 (éd. Gallmeister), 249 p.

«  Steve a grandi en regardant des films d'horreur avec sa mère. Bien en chair, énorme, allongée sur le canapé du salon à côté de lui. En plein milieu de la journée, les stores sont fermés. L'obscurité. Elle a un fort instinct protecteur, elle ne veut pas que Steve sorte. Elle ne le laisse pas souvent jouer avec les autres enfants. Elle est mentalement instable d'après le parrain de Steve, mais que peut-il y faire ? Une querelle familiale.
Les films d'horreur et la Bible, voilà ce qui anime le salon, voilà l'héritage de Steve. Une boucle bouclée, les plaies, la mise à l'épreuve de Job. Les jeux sadiques de Dieu qui enseigne à son troupeau comment apprécier la valeur et le sens de la vie. » (p.17)


Le deuxième amendement de la Constitution des Etats Unis d'Amérique garantit pour tout citoyen américain le droit de porter des armes. Il fait partie des dix amendements passés le 15 décembre 1791. C'est cet amendement qui a permis à David Vann d'hériter des armes de son père, y compris de celle dont celui-ci s'était servi pour se suicider. C'est aussi cet amendement qui a permis à Steve Kazmierczak, 27 ans, de faire feu dans un amphithéâtre de son université, tuant cinq personnes, en blessant dix-huit autres et traumatisant durablement une nouvelle fois la population américaine, pourtant habituée à ces carnages en univers scolaires, les événements de Columbine n'étant malheureusement que l'un des plus médiatiques de ces faits divers.
Courageusement, l'auteur de Sukkwan Island et de Désolation – dont on sentait bien à la lecture de ses romans qu'il n'était pas sorti tout à fait indemne de son enfance !! - entreprend de mettre en parallèle l'histoire de Steve, depuis son enfance jusqu'à cet acte barbare, avec la sienne propre, lui dont le père, avant de mettre fin à ses jours, l'a entrainé dans des parties de chasses traumatisantes, comme autant de rituels initiatiques mortifères. Comment devenir un adulte équilibré quand on vit une enfance toute entière sous le signe des armes à feu et de la brutalité la plus primale ? Et surtout qu'est-ce qui fait que l'un devient un beau jour un tueur de masses impassible, quand l'autre dénonce par la littérature l'hypocrise américaine dans son farouche attachement au 2e amendement ? Un texte documentaire et avide de vérité passionnant mais tout à fait glaçant ! Anaïs T.

                   Steve, l'étudiant modèle, qui a ouvert le feu sur un amphi pendant plusieurs minutes


sinon on peut toujours aller revoir l'excellent Bowling for Columbine de Mikael Moore en libre accès à sa demande sur YouTube : https://www.youtube.com/watch?v=whL2LlRkhXk

dimanche 14 juin 2015

Cent ans de Herbjorg Wassmo **



Achevé le 13 juin 2015

Cent ans d'Herbjǿrg Wassmo
roman norvégien, 2009 (éd.10/18), 590 p.

« J'ai rêvé que j'étais dans un bateau qui était torpillé, mais que j’arrivais à rejoindre la terre à la nage. Je rampais sur des pierres en trainant mon gros ventre, et en y regardant de près je me suis aperçue que ce n'était pas des pierres mais des soldats morts. Chacun protégeait sous lui un enfant mort. Ils recouvraient l'enfant de leur corps... comme un coquillage en quelque sorte. Mais cela n'avait servi à rien. Ils étaient morts quand même. Et j'étais la seule au monde à savoir qu'il ne sert à rien de protéger des enfants morts avec des hommes morts.
- Que veux-tu dire par être seule à savoir ? Demanda Hans en avalant le dernier morceau.
- C'était ainsi, je le savais. Et j'étais toute seule, marmonna Hjǿrdis.
- Voilà un bien triste rêve, dit Erda en jetant le premier pain sur une plaque.
- J'étais quand même en vie. » (p.575)



Herbjorg Wassmo est l'une des romancières les plus fameuses de Norvège, elle est connue en particulier pour la trilogie L'Héritage de Karna et pour Le Livre de Dina. Avec Cent ans, c'est à l'histoire de sa propre famille qu'elle s'attaque, à travers trois générations de femmes fortes. Dans les îles Lofoten, la nature est sauvage et instable, on se noie, on se perd dans la tempête, et les médecins sont aussi rares que les livres... fait d'importance quand la vie est rythmée par les grossesses à répétition, comme pour l'arrière-grand-mère et la grand-mère de l'auteur. Quant aux hommes, ils se révèlent ternes, voire pleutres, bégayants ou déjà mariés, quant ils ne sont pas malfaisants comme le glacial père de la romancière, qui évoque avec pudeur et périphrases la terreur qu'elle avait d'étreintes sans doute incestueuses... Un roman hommage aux femmes, à leur force, mais aussi à leur modernité. Anaïs T.