dimanche 25 janvier 2015

Faut-il lire Soumission de Michel Houellebecq ?


Achevé le 22 janvier 2015

Soumission de Michel Houellebecq
roman français, 2015 (éd. Flammarion), 300 p.



«  Dimanche 29 mai.
Je me réveillai vers quatre heure du matin, lucide, l'esprit aux aguets ; je pris le temps de faire soigneusement ma valise, de réunir les éléments d'une pharmacie portative, des vêtements de rechange pour un mois ; je retrouvai même des chaussures de marche – des chaussures high-tech que je n'avais jamais utilisées, que j'avais achetées un an auparavant en m'imaginant que j'allais me lancer dans la randonnée pédestre. J'emportai également mon ordinateur portable, une réserve de barres protéinées , une bouilloire électrique, du café soluble. A cinq heure et demi, j'étais prêt à partir. Ma voiture démarra sans difficulté, les portes de Paris étaient vides ; à six heures, j'approchai déjà de Rambouillet. Je n'avais aucun projet, aucune destination précise ; juste la sensation très vague que j'avais intérêt à me diriger vers le Sud-Ouest ; que, si une guerre civile devait éclater en France, elle mettrait davantage de temps à atteindre le Sud-Ouest.» (p.125)

Non, Soumission n'est pas un roman islamophobe, ce n'est même pas vraiment une satire de l'Islam et de ses préceptes pour la vie civile, encore moins une espèce de texte d'anticipation politico-flippant. N'en déplaise à tous les polémistes de nos petits écrans venimeux, Soumission ne sent pas le souffre. Si il faut absolument désigner une cible à cette supposée attaque houellebecquienne, ce serait les fantasmes des occidentaux : guerre civile, polygamie, et... et puis c'est à peu près tout. Parce que notre connaissance de l'Islam, encore aujourd'hui au XXIème siècle, alors même que la France est un pays de mixité, de rencontres, de mélange, n'est pas beaucoup plus renseignée qu'à la grande époque de Delacroix, auteur de La Mort de Sardanapale : violence brutale et sexe débridé.
François, le héros du roman est un universitaire sorbonnard, spécialiste de Joris-Karl Huysmans, auteur décadent de la fin du XIXe siècle. Evidemment, comme à l'accoutumée, Michel est François, qui lui-même est Joris-Karl. Nous sommes en 2022, et les élections présidentielles permettent l'arrivée au pouvoir du parti de la Fraternité musulmane, et de son leader Mohammed Ben Habbes. Tout à coup les choses s'accélèrent : il faut virer son argent sur des comptes à l'étranger, fuir Paris pour une province lointaine et rassurante, l'université est fermée, radio et télévision n'émettent plus, François enjambe des morts dans une station service, et puis... et puis pschitt. Rien. Ou pas grand chose. Ben Habbes est un bon gestionnaire, son premier ministre est l’inoffensif François Bayrou, l'université rouvre ses portes et les intellectuels sont chouchoutés par le pouvoir en place.
C'est un peu comme dans Là-bas de Huysmans : roman réputé satanique car entièrement conçu comme une enquête sur les milieux très fermés et dangereux de l'occultisme et de l'ésotérisme luciférien. Or, dans ce texte, finalement, les scènes les plus marquantes sont celles où les personnages sont à table, autour de bon petits plats franchouillards et généreux, cuisinés et servis par l'obligeante matrone... Deux cents ans plus tard, rien n'a vraiment changé et si, certes, les femmes dorénavant n'ont plus le droit d'enseigner à l'université, ma foi, la collègue maître de conférence de François est aussi une fantastique cuisinière, alors... Parce que finalement, on n'a pas eu besoin d'attendre l'Islam pour voir des conduites misogynes dans notre pays. Au beau milieu du roman, Rocamadour fait figure d'enclave de préservation du patrimoine spirituel et patriotique de ce qui fait, soi-disant, la France : vieilles pierres, dévotion à Marie, choeurs catholiques et spécialités du terroir cuisinées par l'ex-thésarde, silencieuse et aux petits soins pour ces messieurs.
On peut aussi voir le personnage principal de Soumission comme un autre Meursault, L'Etranger d'Albert Camus : « maman », n'est pas morte aujourd'hui mais il y a plusieurs semaines, et son émotion, quand il l'apprend, n'est pas plus vive que celle de Meursault ; comme celui-ci aussi il traverse la société en posant sur elle un regard indifférent, uniquement guidé par ses sensations : la faim, le désir sexuel, et puis aussi, peut-être, par une vague curiosité pour ce qui se passe autour de lui, sans plus...
Pragmatique, François se convertira sans doute : l'Islam au pouvoir est permissif, il pourra toujours toujours savourer en connaisseur quelques grands crus ; l'Islam au pouvoir est généreux : son salaire se voit considérablement augmenté ; l'Islam au pouvoir est conciliant : son statut et son salaire lui permettront d'avoir deux, ou trois jeunes épouses, et d'oublier ainsi sa misère affective et sexuelle, marque des héros de Houellebecq. Alors ma foi, la cause des femmes... Bref, les musulmans ne prendront pas ombrage de ce roman plus drôle que sérieux, qui en définitive est un roman très bien fichu, très littéraire, nourri de références et qui dénonce avant tout les fantasmes, la bêtises et l'hypocrisie de l'élite intellectuelle de notre pays, égocentrée et opportuniste... Alors oui, il faut lire Soumission, parce que c'est seulement un bon roman  ! Anaïs T.