samedi 15 novembre 2014

L'échange des princesses de Chantal Thomas**


Achevé le 12 octobre 2014

L'échange des princesses de Chantal Thomas
roman français, 2013 (éd.Points), 312p.

«  Madrid, décembre 1724
Louise Elisabeth est dégoûtée des formules jésuistiques. Elle commence dans sa tête une lettre pour le roi et la reine : « Chères Ordures de Majestés, Vos dilections de Saloperies, Charognards, vous avez tué don Luis mon époux, vous l'avez écrasé sous le poids de la couronne, elle lui est retombée dessus en pierre tombale. »
Louise Elisabeth chiffonne la lettre. Trois chatons se la disputent comme une pelote. De toutes façons elle a bu toute l'encre. Ses mots sont transparents. Des griffures. » (p.299)

En 1722, pour cimenter la réconciliation des royaumes de France et d'Espagne, on décide d'échanger deux petites princesses. La minuscule infante d'Espagne, Maria Anna Victoria, quatre ans, accompagnée de ses poupées, traverse les deux royaumes pour venir rencontrer aux Tuileries son futur époux, le futur Louis XV, qui n'a lui même que neuf ans (cf portrait ci-dessous). Au même moment, la fille du régent, Mademoiselle de Montpensier, guère plus âgée, fait le trajet inverse, pour venir épouser le prince des Asturies, fils de Philippe V et futur roi d'Espagne. L'une tombe éperduement amoureuse de son promis, l'autre choisit la rébellion jusqu'à la folie, mais pour toutes les deux, l'issue qu'on leur réserve est proche de la barbarie. Cet événement historique se soldera en effet par un double échec, et des prémisses de guerre... Chantal Thomas dessine un beau roman, qui nous donne du XVIIIe siècle une image aussi réaliste que cruelle... Anaïs T.

 

mercredi 22 octobre 2014

Le Diable, tout le temps de Donald Ray Pollock***


Achevé le 11 août 2014

Le Diable, tout le temps de Donald Ray Pollock
roman américain, 2011 (éd.Le livre de poche), 403p.

«  Le pasteur Teagardin essuya son front large et lisse aec un mouchoir brodé, et évoqua une église dans laquelle il avait servi pendant un moment, à Nashville, où il avait l'air conditionné. Il était évident qu'il était déçu par l'installation de son oncle. Seigneur, il n'avait même pas de ventilateur. En plein été, cette vieille bâtisse devait être une salle de torture. Son esprit se mit à vagabonder, et il commençait à paraître aussi somnolent et ennuyé que sa femme, mais Arvin remarqua qu'il se ragaillardit nettement quand Mrs Alma Reaster arriva accompagnée de ses deux filles adolescentes, Beth Ann et Pamela Sue, âgées de quatorze et seize ans. C'était comme si deux anges avaient voleté dans la pièce et s'étaient posé sur les épaules du pasteur. Malgré tous ses efforts, il ne parvenait pas à détourner les yeux de leurs corps fermes et bronzés, vêtus de robes assorties jaune pâle. Soudain inspiré, Teagardin commença à parler à tous ceux qui l'entouraient de constituer des groupes de jeunes, quelque chose de très efficace qu'il avait vu dans plusieurs paroisses de Memphis.  » (p.263)


Âmes sensibles s'abstenir, ce roman est une horreur - mais c'est délicieux !
En fait de Diable, c'est bien de Dieu dont il s'agit ici et de toutes les folies que certains Américains font en son nom : des prédicateurs pédophiles aux meurtriers sacrificateurs, des fanatiques criminels aux tueurs en séries biblico-esthètes, sous nos yeux défilent des personnages hauts en couleurs qui ont en commun d'adorer Dieu dans leur folie jusqu'à commettre les actes les plus contre-nature. Pourtant, plus la nature humaine est laide et perverse, plus l'écriture de Donald Ray Pollock est belle. Sublime horreur qu'on a du mal à oublier ! C'est sans doute ma plus belle claque de l'été... Anaïs T.

dimanche 19 octobre 2014

Mon Nom est rouge d'Orhan Pamuck**


Un été en Turquie avec Orhan Pamuk (2)

Achevé le 4 août 2014, près d'Antalya

Mon nom est Rouge d'Orhan Pamuk
roman turc, 1998 (éd.Folio), 736p.

«  Maintenant je suis mon cadavre, un mort au fonds d'un puits. J'ai depuis longtemps rendu mon dernier souffle, mon cœur depuis longtemps s'est arrêté de battre, mais, en dehors du salaud qui m'a tué, personne ne sait ce qui m'est arrivé. Mais lui, cette méprisable ordure, pour bien s'assurer qu'il m'avait achevé, il a guetté ma respiration, surveillé mes dernières palpitations, puis il m'a donné un coup de pied dans les côtes, et ensuite porté jusqu'à un puits, pour me précipiter par dessus la margelle. Ma tête, déjà brisée à coups de pierres, , s'est fracassée en tombant dans le puits ; mon visage et mon front, mes joues se sont écrasés, effacés ; mes os se sont brisés, ma bouche s'est remplie de sang.  » (p.13)



Mon Nom est rouge est construit à la manière d'un roman policier : tout commence par un crime, dont on ignore mobile et assassin, et ensuite se succèdent les prises de paroles, les témoignages, plus ou moins sincères, des très nombreux personnages liés au crime. Mais cette fois nous sommes loin des rues de Chicago ou encore des paysages chaotiques islandais auxquels le genre du roman policier nous avait habitués : Orhan Pamuk place son enquête dans l'Istambul du XVIe siècle, dans le milieu très codifié et très fermé des miniaturistes et des enlumineurs. Aux motifs habituels des jalousies, des ambitions, des hypocrisies et des amours passionnels, s'ajoutent ceux, plus spécifiques et plus érudits, des techniques picturales et de la rivalité entre l'art ottoman et l'art occidental, qui se rencontrent tout en se défiant en cet hiver 1591. L'occasion de découvrir certains des chefs d'oeuvre de l'art Ottoman, tirés du Sürname de Mourad III ou Livre des réjouissances et du Hünername ou Livre des gestes. Anaïs T.


dimanche 12 octobre 2014

Le Musée de l'Innocence d'Orhan Pamuk****

Un été en Turquie avec Orhan Pamuk (1)


Achevé le 22 juillet 2014, à Istambul

Le Musée de l'Innocence d'Orhan Pamuk
roman turc, 2006 (éd. Folio), 812 p.


«  Füsun avait mis une robe à motifs de fleurs et de feuilles dans les tons orangés et verts sur fond blanc qui lui allait à ravir. A l'instar d'un sportif mettant toujours le même survêtement pour l’entrainement, elle portait cette robe élégante qui lui arrivait au dessus du genou et au col en V chaque fois que nous partions pour les leçons de conduite, et, à la fin des cours, de même qu'un survêtement, la robe était trempée de sueur. Trois ans après avoir commencé ces cours, à la vue de cette robe suspendue dans l'armoire de Füsun, je me rappellerais avec envie ces heures tendues et enivrantes passées ensemble dans le parc de Yildiz, un peu au-delà du palais d'Abdülhamid, et pour revivre ces instants, j'en humerais instinctivement les manches et le col pour y retrouver l'odeur incomparable de Füsun. » (p.660)

Une histoire de désir à Istambul...

Le roman raconte l'histoire de Kemal, jeune homme issu de la très bonne société turque, fiancé à Sibel, fille de diplomate, dans les années 70. Des appartements les plus chics d'Istambul aux pittoresques Yali en bois des rives du Bosphore, la jeunesse dorée stambouliote s'amuse et s'oublie, quelque part entre les traditions séculaires de ses parents et le souffle de modernité très parisien rive gauche qui s'empare d'elle. La sexualité est en particulier un enjeu nouveau pour ces jeunes gens : derrière cette libéralisation des mœurs, à la mode occidentale, revendiquée, les jeunes femmes restent très chastes, finalement soumises aux pères puis aux maris. Mais pas Füsun. Lorsque Kemal, à trente ans passé, croise la route de sa très jeune cousine de tout juste dix-huit ans, un amour physique et passionnel qui ne prendra jamais fin s'empare de lui.
C'est l'histoire de cet amour que Pamuk nous donne à lire, un amour fou, sublime, déraisonnable, mais pas pour autant généreux, ni même peut-être réciproque, puisque de Füsun Kemal n'aura de cesse ni d'autre aspiration que de tout retenir : ces instants charnels avec elle dans le petit appartement de la rue de Merhamet, ses boucles d'oreille, son odeur sur les draps, ses mégots de cigarette, tous les objets qu'elle a touchés, tout son temps, et jusqu'à ses rêve de devenir une starlette de cinéma...

Le passage troublant de la fiction à la réalité...

L'originalité de ce très beau roman, qui réexplore et renouvelle de manière très belle le thème de l'amour fou, est de trouver à la fiction romanesque un prolongement dans le réel. Puisque Kemal, dont les sentiments se sont peu à peu mués en fétichisme forcené, a progressivement transformé le petit appartement de la rue de Merhamet en un lieu de culte dédié à Füsun : tasse à café, chien en faïence, mouchoir, morceau de sucre, etc... objets cultes, culte des objets, il en vient à la conclusion logique de créer un musée. Et c'est à Orhan Pamuk, l'écrivain, qu'il confie la rédaction du catalogue de ce musée, catalogue qui devient récit de l'histoire de chacun des objets, à savoir l'histoire de Kemal et de Füsun, le roman que nous avons entre les mains.
Mais le tour de passe-passe serait commun s'il s'arrêtait là : c'est que le Musée de l'Innocence, où sont exposés avec un systématisme proche de la folie tous les objets subtilisés maladivement par Kemal, ces objets qui peu à peu l'envahissent, et bien ce musée existe vraiment : il est situé à l'angle de l'avenue Cukurcuma et de l'impasse Dalgic, tout près du lycée de Galatasaray, à Istambul. Et en page 796, le lecteur trouvera son billet d'entrée pour le musée...



« Je comprenais à présent qu'il me fallait rassembler en un même endroit tous ces objets liés à Füsun, aussi bien ceux que j'avais entassés dès le début sans préméditation que ceux que je récupérais délibérément dans sa chambre, voire dans toute la maison ; mais où, je n'en savais rien. C'est seulement lorsque je commençais à voyager et à visiter les petits musées à travers le monde que je trouvais les réponses à ces questions. » (p.756)


« Parfois, porté par ce sentiment de consolation, je sentais que je pourrais également rassembler ma propre collection autour d'une histoire ; cette vie que tous, à commencer par ma mère et mon frère, pensaient que j'avais gâchée, je m'imaginais avec bonheur pouvoir l'exposer et la raconter à travers mon récit et ce qui restait de Füsun, dans un musée qui édifierait tout le monde. » (p.760)

En définitive, ce musée n'est pas tant consacré à Füsun, imaginaire personnage de papier, qu'à la belle et mélancolique ville d'Istambul... Plus qu'un roman d'amour, ce texte justifie à lui seul le prix Nobel de littérature d'Orhan Pamuk. Anaïs T.

dimanche 6 juillet 2014

Santa Evita de Tomas Eloy Martinez**


"Il faut interdire ce roman, ou le lire toute affaire cessante"    Mario Vargas Llosa

Achevé le 25 juin 2014

Santa Evita de Tomas Eloy Martinez
roman argentin, 1995 (éd. « pavillons poche » robert laffont), 577p.



« - Je me pose des questions, commente Galarza. Cette femme, le corps, c'est une momie non ? Elle est morte il y a trois ans. A quoi elle sert ? On pourrait la balancer d'un avion au milieu du fleuve. Ou la fourrer à l'intérieur d'un sac de chaux vive, dans la fosse commune. Personne ne la réclame. Et si quelqu'un le fait, on n'est pas obligés de répondre.
- L'ordre vient d'en haut, explique le colonel. Le Président exige qu'on lui donne une sépulture chrétienne.
- A cette jument!s'exclame Galarza. Qui nous a foutu la vie en l'air !
- Elle nous a gâché la vie, acquiesce le colonel. Certains pensent qu'elle les a sauvés. Il faut se couvrir.
- C'est peut-être trop tard, dit Arancibia, le fou. Il y a encore deux ans, c'était encore possible. On tuait l'embaumeur et le corps aurait pourri tout seul. Maintenant ce corps est devenu trop grand, plus grand que le pays. Il est plein à ras bord. Peu à peu, nous y avons tous mis quelque chose : la merde, la haine, l'envie de tuer de nouveau. Et comme l'affirme le colonel, il y a aussi des gens qui y ont mis leur désespoir. Ce corps fait désormais l'effet d'un dé pipé. Le Président a raison. Il vaut mieux l'enterrer. Sous un faux nom, ailleurs, jusqu'à ce qu'il disparaisse. » (p.214)



Evita, c'est le conte de fées d'une obscure petite actrice devenue première dame d'Argentine et icône populaire dans les années 40. A sa mort, le peuple réclame au pape sa canonisation. Voilà pour la facette dorée. La réalité a sans doute été moins glorieuse : Perón n'avait rien d'un humaniste, et Eva Perón avait le talent de la propagande et de la mise en scène, au service très conscient de la construction de son propre mythe.
Pourtant, la fascination argentine pour Evita trouve son explication ailleurs, ou plutôt après : à sa mort – la jeune femme n'a que 33 ans quand elle est victime d'un cancer de l'utérus – celle dont la dernière volonté était que l'on protège son corps de toute profanation est embaumée. D'abord exposé au QG de la CGT, objet d'un presque culte, son corps est ensuite volé et l'on perdit sa trace pendant seize ans.
Le roman de Tomas Eloy Martinez est construit comme une enquête historique : il s'agit pour lui de suivre à la trace ce corps, de mains en mains, de cachette en cachette, de fou en fou. Parce que la proximité de corps parfait dans sa rigidité morbide, de cette beauté figée et mystérieuse semble avoir le mystérieux pouvoir de rendre fous d'amour tous ces militaires anti-peronistes qui tour à tour en ont la garde. L'auteur, en parallèle, revient sur les principaux épisodes de la vie d'Eva Duarte, tachant, avec le plus de sincérité possible, de redonner une substance historique au mythe. Evita, adulée, haïe, fascine. Et ce très beau roman prolonge à merveille cette ambivalente fascination pour Evita.     Anaïs T.

mardi 17 juin 2014

La Trilogie berlinoise de Philip Kerr***


Sur les pas d'un privé dans le Berlin des années 30-40
 
Achevé le 10 juin 2014

La trilogie berlinoise de Philip Kerr
roman anglais, 1989-1990-1991 (éd.le livre de poche), 1015p.

« Ce soir-là, on eût dit que tout Berlin s'était donné rendez-vous à Neukölln, où Goebbels devait parler. Comme à son habitude, il jouerait de sa voix en chef d'orchestre accompli, faisant alterner la douceur persuasive du violon et le son alerte et moqueur de la trompette. Des mesures avaient par ailleurs été prises pour que les malchanceux ne pouvant pas aller voir de leurs propres yeux le Flambeau du peuple puissent au moins entendre son discours. En plus des postes de radio qu'une loi récente obligeait à installer dans les restaurants et les cafés, on avait fixé des haut-parleurs sur les réverbères et les façades de la plupart des rues. Enfin, la brigade de surveillance radiophonique avait pour tâche de frapper aux portes des appartements afin de vérifier si chacun observait son devoir civique en écoutant cette importante émission du parti. » (p.85)


Il y a dans les polars de Philip Kerr tous les ingrédients du polar : une bonne dose d'affreux bandits, un soupçon de femmes fatales, des trahisons, des macchabées, et surtout, en guise de héros, un détective privé délicieusement cynique et à la verve volontiers ironique :
« A côté du décorateur qui avait conçu l'agencement de l'appartement, l'archiduc Ferdinand semblait avoir autant de goût qu'un nain de cirque turc. » (p.88)
« Tu ferais vomir une mouche à merde. » (p.149)
« Vous sentez tellement le poulet que vous en avez presque les plumes. » (p.172)
« Un froid de devanture de boucherie m'envahit le haut du corps. » (p.292)
Pourtant, L'été de cristal, La pâle figure et Requiem allemand ne sont pas des romans noirs au sens classique du terme, car ce n'est pas dans les rues de Chicago ou de L.A. que Bernie Gunther traine son pardessus élimé, mais dans celles de Berlin, dans ses heures les plus sombres : pendant l'installation et la montée en puissance du IIIe Reich, et en 1947, à travers l'Allemagne en ruines. J'ai trouvé cette trilogie passionnante en cela que nous suivons un homme auquel nous pouvons nous identifier tout au long de cette période particulièrement complexe : ces romans nous font vivre de l'intérieur les problématiques liées à la question des persécutions contre les Juifs, au nazisme, à l'occupation de Berlin par les forces russes, américaines et françaises, tout cela d'un point de vue allemand. Je précise quand même que si le premier des trois textes est relativement (j'insiste sur l'adverbe!) léger – Bernie Gunther enquête sur la disparition d'un bijou avec en toile de fond les jeux olympiques berlinois, les suivants sont bien plus sombres, voire désespérés, ainsi que plus complexes puisque Philip Ker utilise le genre romanesque pour développer une théorie autour de liens secrets entre les services secrets alliés et d'anciens nazis, comme Heinrich Müller. A lire.                          Anaïs T.

dimanche 15 juin 2014

Villa avec piscine de Herman Koch**


De la laideur des corps à celle des âmes : 
le dernier roman de l'auteur du Dîner 
Achevé le 13 juin 2014

Villa avec piscine d'Herman Koch
roman néerlandais, 2011 (éd.10/18), 430p.

« Déjà quand ils sont habillés, je trouve tous ces corps humains assez épouvantables. Je n'ai pas besoin de les regarder, ces parties du corps qui ne voient jamais le soleil. Ces plis de la peau à l'intérieur desquels il fait toujours trop chaud et où les bactéries ont le champ libre, ces champignons et ces inflammations entre les orteils, sous les ongles, ces doigts qui grattent, ces doigts qui frottent jusqu'à ce que ce ça saigne... Regardez docteur, c'est là que ça ma démange le plus... Non, je ne veux pas voir. Je fais mine de regarder mais pendant ce temps là, je pense à autre chose. » (p.8)



Le narrateur de cette histoire est un médecin. Un médecin spécialisé dans les artistes et les célébrités. Célébrités qui boivent trop, qui mangent trop, qui sont à deux doigts de voir leur foie éclater, leur cœur s'arrêter. Mais le narrateur ne leur dit pas : il est plus simple de conforter les patients dans leurs vices que de les en détourner : « Il ne faut rien exagérer, on dit beaucoup de choses idiotes sur les risques de l'alcool », « Avez-vous essayé cette recette de cuisine ? C'est un peu riche mais quand ça fait du bien ça ne peut pas faire de mal », etc... Le narrateur n'aime pas ses patients artistes, d'ailleurs, s'ils pouvaient crever, et si possible ailleurs que dans son cabinet... Pourtant il se lie à l'un d'eux, Ralph Meier, grand comédien de la scène néerlandaise – bien sûr pour de mauvaises raisons - et à partir de ce moment là, subtilement mais efficacement, l'intrigue va entraîner le narrateur, son épouse Caroline et leurs deux filles vers un événement dont on pourra dire : après ça, les choses n'ont plus jamais été les mêmes...
Villa avec piscine est du même tonneau, âpre et acide, terriblement efficace, que Le Dîner, précédent roman d'Herman Koch. Même principes de base aussi : la bassesse humaine et la laideur des âmes, dans une histoire racontée par le regard d'un narrateur auquel on s'identifie au début pour tout à coup s'en détacher, comme soudain glacé par la réalité malsaine de la psychologie qui s'exprime sous nos yeux. A lire avec délice seulement si le cynisme et l'immoralité ne vous scandalisent pas trop ! Évidemment, amateurs de happy end et de moralement correct s'abstenir ! Anaïs T.

mardi 20 mai 2014

Une famille anglaise de Helen Walsh*


Achevé le 15 mai 2014

Une famille anglaise d'Helen Walsh
roman anglais, 2008 (éd.J'ai lu), 537p.

« Tops of the pops allait commencer d'une minute à l'autre. Vincent s'examina une dernière fois dans la galce et ce qu'il vit lui plut. Il n'avait pas fait tous ces efforts pour rien. Il portait des collants brillants dorés appartenant à sa mère, ses bottes en daim marron et une veste militaire tressée qu'ils avaient achetée à l'Armée du Salut pour une livre et qui ressemblait à celle que les Beatles portaient sur la couverture de Sergent Pepper. Il s'était fait une large ceinture tricolore à partir de trois écharpes en soie qu'il avait tressées autour de sa taille, puis pour parachever l'ensemble, il avait mis de l'eyeliner sur les yeux et tracé une bande blanche audacieuse sur son nez avec de l'ombre à paupière. » (p.205)



Voilà du pain béni pour Ken Loach, une véritable tragédie britannique...
Entre misère sociale et affective, skin heads, rock à billy, ados déglingués, racisme ordinaire et drogues en tous genres, Robbie et son épouse tamoule, Sucheela ou plutôt Shelly – parce que c'est plus simple dans ces banlieues anglaises des années 70, échouent à transformer leur amour en une vie familiale heureuse et belle. C'est cet échec, cette chute inéluctable, que la romancière déroule sous nos yeux, sans espoir aucun pour ses attachants personnages... Beau mais éprouvant.             Anaïs T.

Karoo de Steve Tesich***


Achevé le 9 mai 2014

Karoo de Steve Tesich
roman américain, 1998 (éd.Points), 593p.

« Comme la crise relative au choix que je devais faire s'intensifiait, ma réaction fut de me laisser pousser la barbe. Si cela n'était pas exactement « gérer la crise », la vue de mon visage poilu chaque matin constituait un rappel visuel utile, au cas où je l'oublierais, que j'avais une crise sur les bras. » (p.192)



C'est l'histoire d'une ordure, d'un sale type, d'un affreux.

Un mauvais mari, son ex-femme lui répète assez – une délicieuse hystérique, actionnaire richissime d'une marque textile, qui s'est fait la spécialité d'afficher sur robes et jupes les photos larmoyantes d'espèces animales en voie de disparition.
Un mauvais père aussi : n'évite-il pas avec beaucoup de ruse toutes les occasions où, horreur !, il risquerait de se retrouver en tête à tête avec son fils unique ? quitte à embarquer chez lui une parfaite inconnue à la place, ne sachant trop quoi en faire ensuite...
Dans son art aussi, celui du montage cinématographique, le bonhomme a renoncé à toute moralité et à toute éthique, au nom du sacro saint business, et plus particulièrement dans sa fréquentation professionnelle de l'odieux producteur Cromwell, avatar hollywoodien de Satan très réussi...
Mais voilà, c'est Saul Karoo lui-même qui nous raconte son histoire, et là forcément, tout jugement moralisateur tombe. Aussi cynique soit-il, Karoo est diablement attachant, et on finit par ressentir quelque chose d'assez proche de la connivence avec lui lorsque Steve Tesich donne une inflexion radicale et inattendue à son récit. Une claque. Un roman subtile et souvent drôle, parfois franchement déprimant aussi : j'avoue que Karoo est un plaisir assez déstabilisant.         Anaïs T.

dimanche 23 mars 2014

L'amour dure trois ans de Frédéric Beigbeder*


Achevé le 21 mars 2014

L'amour dure trois ans de Frédéric Beigbeder
roman français, 1997 (éd.Le Livre de Poche), 185p.


On ne présente plus guère Beigbeder, et on en pense ce qu'on en veut, malgré tout la lecture de ses romans est toujours un – petit – plaisir. Ce roman-ci a été porté à l'écran en 2012, par Beigbeder lui-même.
Dans ce texte autobiographique, Beigbeder, tel Sisyphe roulant sans cesse son rocher en haut de la montagne pour mieux le voir dégringoler chaque fois de l'autre côté, s'envisage comme le triste héros de l'amour tragique. L'amour dure trois ans : passion – tendresse – ennui, comme un schéma dont malgré toute la bonne volonté du monde, on ne peut sortir. Son texte est-il ainsi émaillé d'aphorismes et de maximes, tous plus définitifs et désespérants les uns que les autres :
« L'amour est un combat perdu d'avance. »
« La première année, on achète des meubles. La deuxième année on déplace les meubles. La troisième année on partage les meubles. »
« Le bonheur n'existe pas. L'amour est impossible. Rien n'est grave. »
« Les contes de fées n'existent que dans les contes de fées. »
« On ne peut pas désirer ce qu'on a, c'est contre nature. »
« Le Mariage, l'institution-qui-rend-l'amour-chiant. »
« Le totalitarisme conjugal continue, chaque jour, de perpétuer le malheur, de génération en génération. »
etc... etc... Mais voilà, notre looser dépressif, cocaïnomane impénitent, désormais divorcé et lucide, retombe dans le piège de l'amour avec la belle Alice : comment s'abandonner à la passion quand on sait, qu'on est sûr, que l'amour dure trois ans ? Peut-être en révisant ses certitudes... Distrayant. Anaïs T.


samedi 15 mars 2014

L'Expérience Oregon de Keith Scribner*


Achevé le 14 mars 2014

L'expérience Oregon de Keith Scribner
roman américain, 2011 (éd.10/18), 496p.

« Mon Dieu ! Et s'ils y restaient si longtemps que ça ? (…) Leurs gosses grandiraient pleins de confiance, « purs produits » de l'Oregon. Ils feraient partie de l'organisation de la jeunesse du ministère de l'agriculture. On viendrait chercher sa fille dans des pick-up rutilants. Un fils étudiants en agronomie et inscrit au club de tir du lycée. Ou ils s'installeraient dans une communauté dans les collines – leur fils passerait sa vie à jongler et à coudre des clochettes sur son chapeau de bouffon en velours flapi, leur fille à adorer la lune et à faire de la peinture avec le sang de ses règles. » (p.99)


Lorsqu'elle emménage avec son universitaire de mari en Oregon, Naomi fait la gueule : elle a perdu son sens de l'odorat or elle est nez de profession. Quand elle retrouve enfin son odorat au contact de ces senteurs nouvelles et si exotiques pour la New new-yorkaise qu'elle est – le plus souvent subtil mélange de patchouli, muffin au carottes et aisselles, Naomi fait la gueule de plus belle : décidément, c'est à New York qu'elle veut vivre. Quand nait son enfant, si attendu, c'est encore et toujours la gueule : problèmes d'allaitements cette fois... Bref, ce n'est pas dans son intrigue, ni dans son personnage principal qu'il faut chercher l'intérêt de ce roman.
En revanche, le personnage de Clay, jeune anarchiste avide d'amour et passionné par le dynamitage de 4×4 ou encore de Séquoïa, écolo-alter-mondialiste-sécessionniste et mère-courage célibataire, sont plus attachants : ils nous racontent une Amérique que nous ne connaissons pas. Celle qui s'est faite dans l'ombre du rêve américain, celle de tous ces gens pour qui ascension sociale et possessions matérielles ne constituent pas un idéal de vie. Ces gens qui trouvent les Etats Unis trop grands. Qui rêvent de connaître leurs voisins, de vivre sans les géants de l'agro-alimentaire ou les laboratoires pharmaceutiques, qui aiment les arbres et les légumes du jardin. Et qui sont prêts à se battre pour leurs valeurs. L'expérience Oregon nous raconte une Amérique à l'opposée de celle des traders ou des obèses gorgés de bic-macs, et nos clichés sur les Américains en prennent un coup. Tant mieux.     Anaïs T.

*** ma P.A.L. du mois de mars ***

Tout bon blogueur spécialisé dans les romans se doit de temps à autres de fournir sa P.A.L : sa Pile de bouquins A Lire, soigneusement rangés sur la table de chevet, et fruits de coups de têtes et de coups de cœur au détour des rayonnages des librairies... En ce qui me concerne, et je m'en délecte d'avance, voilà ce qui constitue mon petit trésor du mois de mars :
Jeffrey Eugenides, Le Roman du mariage (je suis une inconditionnelle de Middlesex) !
Alessandro Piperno, Inséparables (la suite de Persécution, chroniqué sur ce blog http://mespetitsbouquins.blogspot.fr/2013/04/persecution-dalessandro-piperno.html)
Sara Stridsberg, La Faculté des rêves (petit cadeau des éditions Le Livre de Poche !)
Joseph Connolly, Drôle de Bazar (en espérant que cela soit aussi drôle que Vacances anglaises qui avait inspiré le film Embrassez qui vous voudrez)
Helen Walsh, Une famille anglaise
Steve Tesich, Karoo (jolie couverture bling bling)
et puis aussi:
Frederic Beigbeder, L'amour dure trois ans
Jean Teulé, Ô Verlaine
George Sand, Histoire de ma vie
William  Thackeray, La Foire aux vanités
Si vous avez déjà croisé ces romans, commentaires et impressions seront les très bienvenus !

mardi 11 mars 2014

Je,François Villon de Jean Teulé**


Achevé le 6 mars 2014

Je, François Villon de Jean Teulé
roman français, 2006 (éd.Pocket), 435p.

"Je suis français, ce qui me pèse,
Né de Paris emprès Pontoise,
Et par la corde d'une toise,
Mon coup saura ce que mon cul pèse."
                                                François Villon

 
Après Rimbaud et Verlaine, et c'est à un autre poète rebelle que s'attaque Teulé. Une fois n'est pas coutume, je laisse la parole à un autre lecteur, Jean B., qui a su très bien cerner l'oiseau Teulé :

« Une grosse lichette de foutre, un bonne rasade de sang, une sacrée pincée de merde, à macérer dans le bouillon méphitique du Paris des putains sales et des gibets bondés de la fin du Moyen Âge, et vous voilà la gorge déployée à chaque coin de page, la bouche toujours pleine de cette terrine absurde et roborative de nos semblables....Il n'est pas prêt d'entrer à l'Académie cet espiègle bougre... »

Un roman génial, mais à ne lire que si la phrase « T'as bouffé ma mère en pâté ? » vous paraît conciliable avec votre idée de la chose littéraire !

lundi 3 mars 2014

Les Merveilles de Claire Castillon*


Les petits bouquins du mois de février (2)

Achevé le 15 février 2014

Les Merveilles de Claire Castillon
roman français, 2011 (éd.Le Livre de Poche), 189p.

« Quand je m'emmerde, je pense au prénom qu'on pourrait donner à la petite et je trouve pas. Luiggi voudrait Corinne. Moi je pense que c'est comme pour les attardés. Attendre neuf mois pour finir avec une Corinne, autant avorter tout de suite. Star, Omégaze, Clitance, Vaporine, je propose mais il dispose pas. Il rigole gentiment comme s'il croyait à une blague. Mais je blague pas. Je suis contente mais je m'ennuie, ça commence à monter, faut pas se leurrer, l'embourgeoisie c'est pas pour moi. » (p.77)


Voilà un roman, qui a priori, comme ça, n'a à peu près rien pour me plaire.

Je n'apprécie pas beaucoup Claire Castillon, je ne crois pas à son personnage et ses nouvelles, psycholo-trashissimes m'agacent.

Je n'adore pas non plus qu'on écorche à plaisir la langue française : Zola l'a fait dans un souci sociologique, Queneau l'a fait avec inventivité et irrévérence, voilà, l'expérience est tentée, plus rien d'original de ce côté là.

Et puis le coup du chien : oui, je sais, c'est ridicule, mais il n'y a rien qui me répugne autant dans un roman comme dans un film que le bon vieux « coup du chien » : des femmes battues autant que l'on veut, des scènes incestueuses, des coups de poings, des crimes sanglants, oui, mais un chien blessé, tué ou torturé, je ne sais pas, mais ça ne fonctionne pas, justement parce que ça fonctionne trop bien, c'est trop facile. Et là, en matière de coup du chien, on est servi ; d'ailleurs, la première de couverture, avec son mignon petit clebs aux oreilles pendantes et aux yeux tristes, ne présage rien de bon...

Donc bien fait pour moi, je n'avais qu'à passer mon chemin devant Les Merveilles de Claire Castillon. Sauf que c'est un bon roman. Je n'en raconte pas plus long, mais le texte mérite qu'on laisse tomber clichés et préjugés et que l'on tente l'expérience... Anaïs T.

Incidences de Philippe Djian***

les petits bouquins du mois de février (1)


Achevé le 10 février 2014

Incidences de Philippe Djian
roman français, 2010 (éd.Folio), 244p.

«  Difficile de savoir ce qui lui passait par la tête, de temps en temps. Lui-même n'en savait trop rien pour parler franchement – la seule certitude qu'il avait, pour l'heure, était qu'il mourait de faim.  » (p.106)



Incidences est le roman qui a servi d'inspiration au dernier film des frères Larrieu, « L'amour est un crime parfait ». Je ne sais pas ce que vaut la version cinématographique – sans doute un très bon film, puisque Karin Viard et Mathieu Amalric sont de très bons comédiens(sans doute n'est-ce pas une raison suffisante me direz-vous), mais une chose est certaine : une fois de plus, on peut affirmer que Djian est un très grand romancier. On dévore ce texte avec une certaine jouissance, complètement vampirisé par le personnage de Marc, magnifique looser, accroc au tabac comme aux jolies étudiantes, strictement incapable de fait le distinguo entre le Bien et le Mal, complètement déphasé par une enfance violente et par sa trouble cohabitation avec Marianne, sa sœur... Un régal doux-amer, où le cynisme de Djian fait merveille ! Anaïs T.