lundi 30 janvier 2012

Du domaine des murmures, de Carole Martinez****

Du Domaine des murmures, miraculeux

 Lu en janvier 2012

Du Domaine des murmures de Carole Martinez
roman français, 2011 (éd.nrf Gallimard), 201p.


«  Alors l'archevêque s'est écroulé, victime d'une simple fronde – identique à celle avec laquelle il avait dit à mon père avoir tant joué enfant avant qu'on lui confisquât – et dans sa chute il a paru se démantibuler, se décomposer en ces éléments qui, quelques instants auparavant, semblaient déjà avoir tant de difficulté à tenir ensemble – mitre, crosse, chasuble, visage de bois, regard brillant et os gantés – et tous ces morceaux sont tombés en tas les uns sur les autres, comme si ce pauvre pantin n'avait plus eu de chair du tout et que ce choc final avait coupé les fils de la panoplie qui parvenait encore tant bien que mal à le contenir. » (p.148)

Esclarmonde la jouvencelle aimée follement de son père, pucelle à la belle dot, se retrouve un jour promise à Lothaire de Montfaucon, « enfant capricieux à l'habit de métal, formé à tuer, toujours en cotte et à cheval, et n'en descendant que pour trousser les vilaines dès que l'envie lui en prenait ». Esclarmonde est obéissante aux désirs paternels, mais avec l'aide du Christ, elle échappera à ce mariage. A l'autel, elle refuse cet époux, et se tranche l'oreille se déclarant déjà offerte au Seigneur et telle une sainte, elle fait la promesse de passer désormais sa vie pieusement, emmurée vive dans une petite petite chapelle, à prier pour le salut des hommes. Le sublime du moment est parachevé par l'entrée miraculeuse d'un agneau dans l'église... Mais ce miracle n'en est pas un, et le roman ne se réduira pas au récit du calvaire d'une innocente sacrifiée... l’œuvre de Carole Martinez est bien plus complexe que cela. Esclarmonde, de sa prison de pierre, de se réduit minuscule, réalise vite à quel point son pouvoir est grand dans cette société du XIIème siècle, et de l'infiniment petit à l'infiniment vaste, nous passons de ce huis clos oppressant aux grands espaces du Moyen-Orient, des croisades et de Saint Jean d'Acre. L'écriture de Carole Martinez est magnifique : tel un exercice de style parfaitement maîtrisé, elle s'approprie à merveille la langue et le monde médiéval, pour dépasser très vite la simple performance stylistique. Le roman soulève finement des questions complexes, comme celle de la croyance aveugle, en Dieu ou en son chef de guerre, de la manipulation d'autrui, du pouvoir, du Bien et du Mal... et l'héroïne Esclarmonde, loin d'être l'innocente sacrifiée et sanctifiée que l'on imaginait, se révèle un personnage féminin fort et moderne. Carole Martinez avait exploré la veine hispanique du réalisme magique en écrivant Le Cœur cousu : le roman était un chef d’œuvre. Difficile à croire – pour moi en tous cas, avant de l'avoir lu - mais avec Du domaine des murmures, elle écrit un texte plus inoubliable encore...