dimanche 15 décembre 2013

La Liste de mes envies* de Grégoire Delacourt


Achevé le 15 décembre 2013

La Liste de mes envies de Grégoire Delacourt
roman français, 2012 (éd. Livre de Poche), 184 p.

«  C'est le besoin d'un tapis de bain antidérapant qui nous maintient en vie. Ou d'un couscoussier. D'un économe. Alors on étale ses achats. On programme les lieux où l'on va se rendre. On compare parfois. Un fer Calor contre un Rowenta On remplit les armoirs lentement, les tiroirs uns à uns. On passe une vie à remplir une maison ; et quand elle est pleine, on casse les choses pour pouvoir les remplacer, pour avoir quelque chose à faire le lendemain. » (p.127)


L'argent ne fait pas le bonheur. C'est en effet de cette manière un peu convenue que l'on pourrait résumer le livre de Grégoire Delacourt, sorte d'apologue moderne sur la quête perpétuelle et illusoire de la possession.
L'héroïne, Jocelyne Guerbette. Ni belle, ni riche, ni jeune, ni particulièrement intelligente. Mercière à Arras. Mariée à Jocelyn Guerbette. Ni beau, ni riche, ni jeune, et franchement médiocre. Elle rêve du dernier manteau de chez Caroll, et pourquoi pas, de changer son père atteint d'Alzeimer de maison de retraite. Il rêve d'un Porsche Cayenne. Médiocrité provinciale et rêves de grandeur – comprendre : de marques !, on pourrait penser à Madame Bovary, or c'est Belle du Seigneur que Grégoire Delacourt choisit d'enfermer en creux dans son roman. Parce que là où Jocelyn pense luxe et grosse bagnole, Jocelyne, elle, rêve d'absolu. Enfin pas tout de suite. D'abord elle pense petit bonheur quotidien : plutôt clairvoyante, finalement, elle devine que si elle parle de son récent gain au loto, 18 547 301 euros et 28 centimes, elle perdra tout, à commencer par ce petit mari imparfait. Et puis la vie lui donne raison, alors le bonheur, il faut le redéfinir...
D'une lecture facile, La Liste de mes envies est agréable, sans plus, mais il a le mérite de redire des vérités que notre société de consommation a tendance à oublier. Malgré tout, si vous n'êtes pas encore convaincus que l'argent ne fait pas le bonheur, loin sans faut, et que la lecture des traités de décroissance vous rebute, alors offrez vous un ciné : le dernier Scorsese, Le Loup de Wall Street, devrait définitivement faire le boulot ! Mais si c'est un conseil littéraire que vous recherchez en lisant ces lignes, alors lisez Belle du Seigneur, si ce n'est pas déjà fait, c'est peut-être la plus belle histoire d'amour jamais rédigée...     Anaïs T.

mardi 10 décembre 2013

Les Corrections de Jonathan Franzen**


Achevé le 8 décembre 2013

Les Corrections de Jonathan Franzen
roman américain, 2001 (éd. Points), 694 p.

«  Au mois de mars précédent, à Saint-Jude, Enid avait fait remarquer que, pour un vice-président de banque marié à une femme qui ne travaillait qu'à temps partiel, à titre bénévole pour le fonds de défense des enfants, Gary semblait faire énormément la cuisine. Gary n'avait pas eu trop de mal à clouer le bec à sa mère : elle était mariée à un homme qui n'aurait pas su faire cuire un oeuf à la coque, et elle était manifestement jalouse. Mais lors de l'anniversaire de Gary, après qu'il fut rentré de Saint-jude en compagnie de Jonah et eut reçu la coûteuse surprise d'un labo photo couleur, après qu'il ait eu la force de s'exclamer : Une chambre noire, génial, quelle joie ! Caroline lui avait tendu un plat de crevettes roses et de brutales darnes d'espadon à griller, et il s'était demandé si sa mère n'avait pas raison. » (p.206)



Alfred et Enid ont trois enfants, devenus grands aujourd'hui. Enid n'a qu'un seul rêve, qu'une seule obsession, qu'une seule rengaine : voir toute sa famille réunie pour Noël, dans leur maison familiale de la profonde province américaine. Mais Enid refuse de tenir compte de la réalité, et dépense toute son énergie à mener une vaste entreprise de chantage affectif auprès de chacun de ses rejetons... Il y a d'abord Gary, son fils ainé, brillant banquier, marié à une épouse magnifique et père de trois beaux garçons. On le découvre enlisé dans une dépression profonde, dont les symptômes principaux oscillent entre une maniaquerie dictatoriale et l'incapacité désormais à éprouver la moindre empathie pour ses proches. Denise, la seconde, est aussi douée dans son domaine professionnel, la cuisine dans de prestigieux établissements, que catastrophique dans sa vie privée. Même constat enfin pour le cadet, Chip, autrefois professeur de littérature sur un campus universitaire, aujourd'hui obscure petite main d'une escroquerie vouée à l'échec fomentée par la mafia lituanienne... Pour couronner le tout, dans la famille déprime, je demande le père, Alfred. Le mari d'Enid, qui a toujours été un être froid, distant, voire odieux avec les siens, est en train de sombrer dans la sénilité – et dans la maladie de Parkinson, et dans l'incontinence. Si l'on ajoute à cela qu'Enid est à deux doigts de virer toxicomane...
Parviendront-ils à réunir leurs misères affectives respectives pour une caricature de Noël à l'américaine ? A quoi correspond cette ultime réunion ? S'agira-t-il d'une possibilité de nouveau départ ? D'une opportunité de couper enfin le cordon ? Ou bien du paiement, enfin, de la dette laissée par trente ans de vie conjugale sans amour, entre Enid et Alfred  ? Qu'aurait-il fallu corriger ?
Jonathan Franzen écrit un roman terriblement fort, on balance sans cesse entre la drôlerie et le pessimisme le plus radical, d'autant plus dérangeant que certaines situations ne peuvent que rappeler nos tristes vies d'occidentaux moyens... Si vous cherchez à vous plonger dans un épais roman qui ne vous laissera pas indemne, c'est sur celui-ci que vous devez urgemment vous jeter ! Anaïs T.

dimanche 10 novembre 2013

Les Nouvelles Confessions de William Boyd***


Achevé le 9 novembre 2013

Les Nouvelles Confessions de William Boyd
roman anglais, 1988 (éd. Points), 633 p.

«  Voici l’histoire d’une vie. Ma vie. La vie d’un homme au vingtième siècle. Ce que j’ai fait et ce qu’on m’a fait. Si parfois il m’est arrivé d’employer quelque ornement innocent, cela n’a jamais été que pour pallier un défaut de mémoire. J’ai pu quelquefois prendre pour un fait ce qui n’était guère plus qu’une probabilité, mais – et ceci est capital – je n’ai jamais fait passer pour vrai ce que je savais être faux. Je me montre tel que je fus : méprisable et vil quand je me comportai de la sorte ; bon, généreux et sublime quand je l’ai été. J’ai toujours observé de très près ceux qui m’entouraient et je ne me suis pas épargné ce même examen minutieux. Je suis tout simplement un réaliste. Je ne juge pas. Je note. Ainsi donc, me voici. Vous pourrez gémir sur mes incroyables gaffes, me maudire pour mes innombrables imbécillités et rougir jusqu’à la racine des cheveux de mes confessions, mais – mais – pouvez-vous, je me le demande, pouvez-vous vraiment mettre la main sur votre coeur et dire : " Je fus meilleur que lui ? '' » (p.14)


Il m'arrive parfois de faire des razzias de livres de poche chez Emmaüs, et dans ces piles de vieux bouquins à 10 ou 20 centimes, parfois moins, je découvre souvent de vrais trésors... Alors sans doute pensez-vous que j'arrive franchement après la bataille, mais je l'avoue je ne connaissais pas ce qui me paraît clairement être un classique de la littérature.
Au début du 20e siècle, les Breton, et autre Valéry, glorieux inspirateurs du Surréalisme, condamnent haut et fort le « roman à la Balzac », pour eux, ces histoires de personnages aux prises avec leur époque, leur société, leur émotions sont définitivement has been, plus jamais nous n'écrirons, disent-ils, « La marquise sortit à cinq heures... ». Mais voilà, l'histoire littéraire leur a définitivement donné tort, et, de mon point de vue, le roman à la papa a encore de belles choses à nous apporter...
Dans les Nouvelles Confessions, William Boyd délègue la parole à son personnage, John James Todd, qui depuis sa retraite ensoleillée sur une île espagnole, dans les années 70, retrace les grandes lignes de sa vie, de sa petite enfance en Ecosse, auprès d'un père et d'un frère indifférents, à son destin de cinéaste hollywoodien, en passant par les tranchées de la première guerre mondiale, le Berlin des années 30, la chasse aux communistes, etc... Le parti pris est celui de l'hommage rendu à Rousseau, auteur des Confessions : James John Todd promet d'écrire sa vie avec lucidité et honnêteté, sur le modèle du fameux texte de Rousseau, mais ce contrat de lecture entre lecteur et personnage-auteur n'est pas le seul aspect rousseauiste à relever. James John Todd en 1918 est prisonnier en Belgique occupée ; il se lie d'amitié avec Karl-Heinz, son gardien allemand, qui lui offre un jour, pour soulager l'ennui de la captivité, un ouvrage, Les Confessions de Rousseau. Pour James John Todd, c'est une révélation : plus tard, devenu l'un des premiers réalisateurs de l'histoire du cinéma, celui du noir et blanc , et du muet, il ne cessera de chercher à adapter à l'écran la biographie du philosophe des Lumières, sans se rendre compte, que dans sa propre vie, il passe peu ou prou à travers les mêmes épisodes, comme la relation trouble avec sa nurse ou l'abandon de ses propres enfants...
Nul besoin de connaître le texte de Rousseau pour savourer l'oeuvre de William Boyd, un très grand roman, par exemple pour qui s'intéresse à l'histoire du cinéma... Pour moi, William Boyd avec Les Nouvelles Confessions se situe quelque part entre Céline et John Irving, et ça n'est pas peu dire ! Anaïs T.

Snuff de Chuck Palahnuik**


Achevé le 2 novembre 2013

Snuff de Chuck Palahnuik
roman américain, 2012 (éd. Points), 213 p.

«  Au milieu des escaliers, les numéros 247 et 354 agitent leur bidoche, mains fourrées sous l'élastique du caleçon, et attendent. Sheila leur dit : « Messieurs, je vous demande un peu de patience. » Elle dit : « Pour le bien être de miss Wright, nous avons besoin de procéder de manière calme et organisée. » » (p.111)



Pour ceux qui ne connaissent pas le sulfureux Chuck Palahniuk, pensez au film Fight club, c'est une adaptation de l'un de ses romans. Il est aussi l'auteur de l'excellent Choke, dont en effet on peine à se remettre tant l'écriture est forte et à contre courant... On pourrait dire en quelque sorte que Chuck Palahnuik est un Houellebecq américain, qui aurait troqué la sinistrose franchouillarde contre des paillettes plus américaines...
Snuff est en soi une provocation : une hardeuse déguise son suicide en un gigantesque show porno, le plus grand bang gang de tous les temps, un marathon de 600 partenaires auquel de toutes façons elle ne survivra pas... L'intérêt réside dans le choix de l'écriture : nous ne verrons rien de cette prestation, sinon le final, explosif. L'auteur préfère nous raconter ces quelques heures depuis la coulisse, à travers les consciences et les propos de trois de ces participants masculins. Le pathétique n°137, vedette de la télé dont le coming out homosexuel a brisé la carrière, est en quête de « réhabilitation » publique par ce qu'il croit être l'ultime performance virile, être l'un des 600 mâles de ce record mondial... Le n°600, célèbre hardeur lui-même, partenaire habituel de Cassie Wright, dont les mauvaises langues chuchotent qu'il serait à l'origine de sa carrière, une voie pas vraiment librement choisie... Et ce pauvre n°72, jeune homme timide, persuadé d'être le fils caché de la porno star, et bien décidé à « sauver môman »... Dans ce texte, à ne pas mettre entre toutes le mains, pathétique et humour s'entremêlent, et, si c'est à la mise à mort d'une pauvre femme que l'on assiste, c'est en même temps le triomphe d'une autre, beaucoup plus machiavélique, qui se dévoile, et toute accusation de misogynie à l'égard du dernier roman de Chuck Palahnuik se trouve ainsi anéantie ! Pas son meilleur roman, mais un texte savoureux malgré tout… Anaïs T.

jeudi 15 août 2013

Super triste histoire d'amour de Gary Shteyngart


Achevé le 15 aout  2013, à Carboneras, Andalousie, Espagne

Super triste histoire d'amour de Gary Shteyngart
roman américain, 2012 (éd. Points), 469 p.

«  DCes pensées, ces livres, voilà le problème, Rhésus, a-t-il dit. Il faut que tu t'arrêtes de penser et que tu te mettes à vendre. C'est pour ça que tous ces jeunes cracks du salon de l'Eternité veulent t'enfoncer un macaron plein de glucide dans le cul. Oui, j'ai entendu. J'ai un nouveau bêtatympan. Et comment leur en vouloir, Lenny? Tu leur rappelles la mort. Tu leur rappelles une version différente et précédente de notre espèce.»  (p.97)


Super triste histoire d'amour est un roman d'anticipation, une contre-utopie (ou plus exactement une contre uchronie car les lieux sont familiers, c'est l'époque qui est différente) dans la lignée d'un Meilleur des mondes ou d'un 1984. Mais, même si Gary Shteyngart a été élu l'un des vingt meilleurs auteurs de sa génération, le roman n'est pas, loin s'en faut, à la mesure des deux autres... 
Lenny vit à New York à une époque, sans doute pas si lointaine où on ne lit plus de livres, ils ont la réputation de puer, où l'on vit sa vie sur les réseaux sociaux, mesurant en permanence son niveau, et celui des autres, de cholestérol, de finances, et même de "baisabilité"... Lenny est vieux et pas très sympathique. Il tombe amoureux d'Eunice qui est jeune et pas très intéressante. L'histoire fonctionnera un temps, puis plus. Globalement, ce roman m'a paru assez désagréable : les personnages ne sont pas attachants, la vision du future n'est pas spécialement originale, et la vulgarité est très présente. Bref, je suis passée à côté de ce texte, pourtant largement salué par la critique...  Anaïs T.

samedi 10 août 2013

L'hypnotiseur de Lars Kepler**


Achevé le 10 juillet 2013 à Carboneras, Andalousie, Espagne

L'hypnotiseur de Lars Kepler
roman suédois, 2010 (Actes Sud), 628 p.

Avant même que les portes de l’ascenseur ne se referment, Erik a appuyé au moins dix fois sur le bouton. Il sait que ça n'avance à rien,mais il ne peut s'en empêcher. Les mots prononcés par Benjamin depuis l'obscurité d'un coffre de voiture se mêlent à la profusion de souvenirs fragmentaires remués par la vidéo. Il entend de nouveau la voix frêle d'Eva Blau... (p.321)


Voilà un vrai polar, un roman noir terriblement efficace et effrayant... Détail étonnant, le texte est l'oeuvre non pas d'un mais de deux auteurs, Alexander et Alexandra Ahndoril, couple à la ville qui raconte à merveille un autre couple, celui formé par Erik Maria Bark et Simone, parents d'un adolescent enlevé dans des circonstances obscures. Ce drame est nécessairement lié à un autre, un meurtre sanglant, et c'est pour résoudre cette sordide affaire que la police a fait appel aux compétences fameuses d'Erik en matière  d'hypnose psychanalytique. 
Mais pourquoi Erik a-t-il abandonné cette pratique il y a dix ans? Que sont devenus ses patients de l'époque? et pourquoi ces enregistrements par dizaines intitulés "maison hantée"? Pourquoi le médecin avale-t-il à longueur de journée depuis cette époque cachets, pilules et médicaments divers? Pourquoi son fils a-t-il été enlevé? Qui est cette jeune femme tatouée qui dissimule sous une rose  un motif de croix gammée? 
Le roman multiplie les questions, le suspens est maintenu jusqu'au bout, et pourtant l'inspecteur Joona Linna ne doute pas. C'est un nouveau venu dans le club des Harry, Maigret et autres Erlendur, il est solide, il est droit, il est sûr de lui, et au final, bien loin des clichés habituels de l'"enquêteur à faille personnelle" ! En tous cas, c'est un personnage que je serai ravie de retrouver pour de nouvelles enquêtes...  Anaïs T.

vendredi 2 août 2013

Rocher de Brighton de Graham Greene***

Vous reprendrez bien un scone ? (2)


Achevé le 19 juillet 2013 à Winchester, Hampshire, England

Rocher de Brighton de Graham Greene
roman anglais, 1938 (éd.Robert Laffont « pavillon poche »), 526 p.


J'avais lu ce roman en seconde, et il m'avait laissé une très forte impression. J'ai longtemps hésité avant de le relire, peur sans doute d'être déçue, de ne pas le trouver à la hauteur de mon souvenir... En ballade en Angleterre, je me décide, et ouvre à nouveau le roman de Graham Greene, et avec quel bonheur ! Tout se passe dans les bas-fonds de Brighton, station balnéaire qui outre de riches touristes, draine aussi dans les années 30, tout un petit peuple de bandits, de femmes faciles, de parieurs,... Rocher de Brighton raconte une histoire d'amour entre deux de ces gamins paumés dans une vie de misère : une jeune serveuse éprise d'absolu et un chef de bande de dix-sept ans, à la cruauté immense, tellement machiavélique et dénué de sentiments qu'on se prend à voir en lui une incarnation du diable... Crimes, mensonges, fuite en avant, le destin de ces deux êtres se déroulent inéluctablement sous nos yeux, mais c'est sans compter la gouailleuse Ida Arnold, bien décidée à ne pas assister au sacrifice de l'innocence. Un très grand roman de Graham Greene. Anaïs T.




La dernière conquête du major Pettigrew de Helen Simonson**


Vous reprendrez bien un scone ? 
petites lectures english pour été trop chaud !

Achevé le 25 juillet 2013 dans les Costwolds, Glouchestershire, England

La dernière conquête du major Pettigrew de Helen Simonson
roman anglais, 2010 (éd.10/18), 542 p.


Un major anglais, un brin vieille école, bonnes manières et étiquette, tombe amoureux d'une vendeuse pakistanaise, et c'est l'ébullition dans le petit village anglais : ces dames patronesses cancannent, le fils parvenu s'affole et le gentleman farmer du coin en profite pour tirer quelques profits financiers de son château en courtisant quelques Américains en mal de folkore... Un roman, qui, avec toute la subtilité anglaise requise, dresse un portrait satitrique très enlevé de la société britannique d'aujourd'hui, à dévorer avec un cream tea, of course ! Anaïs T.




mardi 9 juillet 2013

Profanes de Jeanne Benameur***


Profanes, l'écriture du refuge

Achevé le 25 juin 2013

Profanes de Jeanne Benameur
roman français, 2013 (éd.Actes Sud), 274 p.

«  Marc sur la route se met à chanter. Quand les souvenirs menacent, il chante. Ça
aussi, il l'a découvert tout seul.
Expulser l'air des poumons.
Ne pas crier. Ne pas hurler.
Chanter. Laisser tout le corps vibrer du ventre jusqu'au crâne et sentir que la voix monte, forte, puissante.
Ses chants n'ont pas de mots. Juste des sons qui s'élèvent, cherchent à rejoindre dans l'air quelque chose qui permet de rester humain. » (p.43)



Octave Lasalle est devenu un grand vieillard. Cet ancien chirurgien, unanimement respecté en tant que professionnel, a connu une vie personnelle plus chaotique. Sa fille unique est morte dans un accident de voiture il y a déjà longtemps, sa femme anéantie, n'a pu se reconstruire avec son époux, qu'elle considère comme en partie responsable de ce malheur, et a retrouvé son Quebec natal, pour recommencer sa vie avec un autre. Au soir de son existence, Octave choisit de s'entourer pour affronter, une bonne fois pour toute, les démons avec lesquels il vit depuis trop longtemps : la cabane au fond du jardin, celle la petite fille jouait et où l'adolescente se réfugiait, qu'il n'a jamais visitée depuis ; l'unique photographie d'elle qu'il possède ; le journal intime de celle qui était en train de devenir une jeune femme, et qu'il n'a jamais osé lire...
Alors Octave s'entoure : il ouvre sa maison à trois femmes et un homme, Hélène, Béatrice, Yolande et Marc. Il les a choisi car chacun, silencieusement, porte des blessures du passé, et cette communauté hétéroclite va se constituer en une sorte de petite arche de Noé, ensemble ils sauront se construire un refuge pour des temps meilleurs, peut-être. Le jardin, les Haïku, le café, autant de petites choses qui, petit à petit, leur rendra force et sérénité – et la cabane s'ouvrira, la photographie deviendra tableau et le journal sera lu...
Si l'intrigue peut rappeler celles de plusieurs roman d'Anna Gavalda – réunir les misères pour aller mieux, l'écriture de Jeanne Benameur n'a rien de commun avec celle de la romancière aux trois best sellers. Chacune des phrases de Profanes est ciselée comme une bijou précieux et pour autant rien de prétentieux ni de bling bling : bien au contraire, le style de Jeanne Benameur emprunte à la simplicité et vérité des Haïku, qu'elle met volontiers en abyme dans son texte. C'est un livre à lire doucement, tout doucement, pour en savourer chaque phrase, chaque mot. Merci à Céline de « Lune et l'autre » de me l'avoir fait connaître ce si beau texte ! Anaïs T.


dimanche 23 juin 2013

La Vérité sur l'Affaire Harry Quebert de Joël Dicker**


La Vérité sur l'Affaire Harry Quebert,  chef d’œuvre d'easy-reading

Achevé le 23 juin 2013

La Vérité sur l'affaire Harry Quebert de Joël Dicker
roman américain, 2012 (éd. De Fallois/L'Âge d'homme), 668 p.

«  Depuis l'arrivée de Harry à Aurora, il fallait à Jenny Quinn une bonne heure de plus pour se préparer le matin. Elle était tombée amoureuse de lui le premier jour où elle l'avait vu. Jamais auparavant, elle n'avait ressenti en elle pareilles sensations : il était l'homme de sa vie, elle le savait. Il était celui qu'elle attendait depuis toujours.»  (p.151)


                  Ils sont nombreux les admirateurs de La Vérité sur l'Affaire Harry Quebert à m'avoir vanté ce roman comme complètement fascinant et addictif... Donc, à l'encontre de mes habitudes – je ne lis en général que des formats poches, car je tiens à posséder, telle une fétichiste, les livres qui m'ont marquée, alors je les achète, mais budget oblige, seulement quand ils sortent en poches ! - je me suis offert ce pavé, mise en appétit par tant de bravi. Et, je l'avoue, j'ai dévoré le roman en trois jours, sans bouder mon plaisir. Pourtant, ce n'est pas un bon livre...
              L'histoire : Marcus Goldmann, dit le formidable, se lance dans une enquête criminelle dans la petite ville d'Aurora, New Hampshire, pour sauver la peau de son ami, père spirituel et maître à penser : le grand romancier Harry Quebert. Une jeune fille de quinze ans a disparu, voilà 30 ans, or, son corps vient d'être retrouvé enterré dans le jardin de la villa d'Harry ; dans la fosse, outre le cadavre, un manuscrit, celui du roman qui a transformé le petit romancier en l'un des plus grand auteurs de son temps... Cette enquête sur le passé trouble de la fillette et de certains des membres de la petite communauté d'Aurora deviendra la matière même d'un nouveau roman, celui cette fois de Marcus Goldmann...
           Bref, une enquête policière, une leçon d'écriture – le texte est conçu à la manière d'un work in progress, on lit ce qui, sans doute, deviendra le roman de M.G, et surtout un jeu sur le thème du double : écrivains lancés ou écrivains manqués, chefs d'oeuvre ou plagiats, grands auteurs ou imposteurs, Marcus et Harry s'admirent, s'imitent, et surtout se construisent l'un l'autre dans une récoprocité permanente. De bonnes idées, et une redoutable efficacité, mais le compte n'y est pas : pour moi, La Vérité sur l'affaire Harry Quebert est un formidable livre de plage. Pas mieux.
             D'abord l'histoire d'amour, de mouettes et de labrador jaune, est d'un cucul accompli. Passons et admettons, c'est l'histoire d'amour d'une enfant de quinze ans. Ensuite les troubles psychologiques type dédoublement de personnalité : franchement, c'est une ficelle usée jusqu'à la corde, un coup de barre comme peu osent encore se permettre. Mais surtout, et là c'est plus gênant, ce texte dont l'intrigue repose au final sur le thème de la légitimité d'un roman, les problèmes de plagiat, et d'imposture serait selon certains rien d'autre qu'« une pâle resucée de Philip Roth » (cf http://bibliobs.nouvelobs.com/rentree-litteraire-2012/20121105.OBS8048/joel-dicker-a-t-il-ecrit-une-pale-resucee-de-philip-roth.html). Marcus serait le jumeau de papier de Joël, et Harry celui de Philip ? Un peu léger, et l'hommage – l'un des personnages, l'un des plus bêtes d'ailleurs, se nomme Roth – est si discret que cela ne permet pas tout... Passons sur cette polémique, d'autres en parlent bien mieux que moi. Reste que le roman est tout en dialogues, que la psychologie des personnages est plutôt allégée, et qu'en matière de descriptions, d'atmosphère, et de travail de style, rien
               Bref, c'est bel et bien du easy-reading, un vrai bouquin pour la plage, à dévorer sans complexe, comme un bon Mary Higgings Clark, mais sans forfanterie non plus, y a pas de quoi ! Anaïs T. 

 

jeudi 13 juin 2013

Limonov d'Emmanuel Carrère**


Limonov, le picaresque du 20e siècle

Achevé le 8 juin 2013

Limonov d'Emmanuel Carrère
roman français, 2011 (éd.folio), 489 p.

«  La situation, c'est que je suis son biographe : je l'interroge, il répond, quand il a fini de répondre il se tait en regardant ses bagues et attend la question suivante. Je me dis qu'il est hors de question de me taper plusieurs heures d'entretien de ce genre, que je me débrouillerai très bien avec ce que j'ai. Je me lève en remerciant pour le café et le temps qu'il m'a consacré, et c'est sur le pas de la porte qu'il m'en pose une, finalement, de question :
« C'est bizarre quand même. Pourquoi est-ce que vous voulez écrire un livre sur moi ? »
Je suis pris de court mais je réponds, sincèrement : parce qu'il a – ou parce qu'il a eu, je ne rappelle plus le temps que j'ai employé – une vie passionnante. Une vie romanesque, dangereuse, une vie qui a pris le risque de se mêler à l'histoire.
Et là, il me dit quelque chose qui me scie. Avec son petit rire sec, sans me regarder : « Une vie de merde, oui. »  » (p.484)



Limonov est un « fasciste anachronique et mégalomane », la formule est de Finkielkraut, et finalement le portrait brossé par Emmanuel Carrère est assez conforme à cette définition. Enfin, « c'est plus compliqué que cela ». Limonov est un auteur que l'on connait peu en France, ses accointance avec l'extrême droite et son implication dans les sinistres guerres serbo-croates en font fait une persona non grata de ce côté-ci des Alpes. Limonov est à peu près ce que Carrère n'est pas. Evoquer ce personnage ambigu, auteur - entre autres - de l'autobiographique Le Poète russe préfère les grand nègres, permet à Emmanuel Carrère, comme en contre-point, de se dire lui-même, dans ses premiers non-engagements politiques – né dans le seizième, il fait partie de cette rare jeunesse française à avoir revendiqué comme une pose ses préférences pour la droite, ou encore dans ses non-prises de risque – ses deux ans de vie sur une plage thaïlandaise et son fumeux projet de commerce de bikinis représentant le summum de ses aventures... Avec beaucoup d'autodérision donc, Carrère se lance donc dans l'évocation de la vie du polémique Limonov, et nous voyageons de l'URSS à New York, de Paris à Zaghreb, à travers une histoire contemporaine complexe et que Limonov a traversé, tour à tour sous les habits de clochard, chef du parti national-bochevik, people amoureux de starlettes, prisonnier, valet de millionnaire, … Limonov n'est pas sympathique, c'est vrai, il n'a rien du héros généreux et sans reproches, néanmoins sa vie haute en couleur le désignait en effet tout naturellement pour être un véritable héros picaresque de ce tourant du siècle. Anaïs T.


mercredi 5 juin 2013

La Muraille de lave d'Arnaldur Indridason


Une enquête d'Erlendur mais sans Erlendur !

Achevé le 26 mai 2013

La muraille de lave de Arnaldur Indridason
roman islandais, 2012 (éd. Points), 402 p.

«  Le soir, quand la nuit et le calme eurent envahi la ville, Sigurdur Oli alla sonner à la porte de Sigurlina Thorgrimsdottir, Lina pour les intimes, soupçonnée de chantage. Il avait accepté d'aller lui parler. Elle et son mari Ebeneser, que tout le monde appelait Ebbi, habitaient une maison jumelée dans le quartier est, pas très loin du cinéma Laugarasbio. » (p.32)



Avis aux amateurs des enquêtes du commissaire Erlendur Sveinsson : passez votre chemin pour cet énième opus de la série ! Notre cher flic, obsédé depuis sa tendre enfance par toutes les affaires de disparition mystérieuses, surtout si elles l'amènent dans la grandiose et hostile nature islandaise, a lui-même complètement disparu. En vacances, il laisse sa place d'enquêteur au peu sympathique Sigurdur Oli, récemment séparé de son épouse Berghtora, que l'on suit d'une scène de crime à un repas chez sa mère, d'une enquête dans les milieux bancaires à une planque pour dépister un voleur de journaux dans la boite aux lettres d'une mamie ! Bref, on s'ennuie ferme, et on ne retrouve qu'à peine le plaisir des pittoresques paysages et patronymes islandais... Comme c'est loin d'être le meilleur de la série, relisez plutôt les autres ! Anaïs T.


Les Débutantes de J.Courtney Sullivan


Les Débutantes, chick lit améliorée

Achevé le 24 mai 2013

Les Débutantes de J.Courtney Sullivan
roman américain, 2009 (éd.le Livre de Poche), 546 p.

«  Une demi-heure plus tard, elle sautait dans un taxi, les mains moites. Le temps avait changé, désormais le ciel était d'un bleu pur, et, à cause de la chaleur inhabituelle pour l'époque, le trottoir rendait une odeur de four à pain. » (p.471)


Elles étaient les meilleures amies à la fac, et à l'occasion du mariage de l'une d'entre elles, elles se retrouvent. Et se souviennent. Et se jalousent. Et s'engueulent. Et se réconcilient. Bref, voilà un roman qui ressemble à tant de comédies sentimentales américaines... Petite originalité : le roman réfléchit – un peu – sur le féminisme d'aujourd'hui (Smith, leur université, n'est pas mixte!), et sur l'homosexualité féminine. Bon, c'est vrai, on se prend à retrouver les personnages et leurs petits soucis sans déplaisir. Un bon roman pour la plage !   Anaïs T.

 

samedi 25 mai 2013

Gatsby le magnifique de F.Scott Fitzgerlad****

Gatsby le magnifique,  chef d’œuvre à redécouvrir...


Achevé le 18 mai 2013

Gatsby le magnifique de F.Scott Fitzgerald
roman américain, 1925 (éd.le Livre de Poche), 252 p.

«  Le dimanche matin, tandis que sonnaient les cloches dans les villages de la côte, chacun avec sa maitresse revenait chez Gatsby et scintillait avec hilarité sur la pelouse.
« C'est un bootlegger, disaient les jeunes femmes, tout en se pavanant parmi ses cocktails et ses fleurs. Il a tué un homme qui avait découvert qu'il est le neveu d'Hindenburg, et le cousin du diable. Attrape-moi donc une rose, ma jolie, et verse une dernière goutte dans c'te coupe de cristal. » » ( p.98)



Avec tout le battage cannois et di caprien du moment, j'ai eu envie de relire Gatsby le magnifique. Dans ma bibliothèque j'ai retrouvé un très vieux livre de poche, probablement ancien exemplaire d'une quelconque bibliothèque de prêt, puisqu'à la fin de mon bouquin se trouve encore la fiche que devait remplir chaque emprunteur. A côté du titre, la cote R FIT G, mais surtout un nom, celui de la seule personne qui ait eu l'envie de lire ce texte, et surtout une date : 4 février 1975. Je ne sais pas qui est Jo Digonnet, mais je n'étais pas née lorsqu'il a savouré Gatsby le magnifique...
Car c'est un sublime roman, infiniment précieux. La force du texte réside d'abord bien sûr dans son personnage principal, le mystérieux Gatsby, propriétaire d'une gigantesque demeure à Long Island, où il organise fêtes après fêtes, dans l'espoir d'y voir un jour venir Daisy, la seule femme qu'il ait jamais aimée, aujourd'hui épouse d'un richissime butor. Dans cette Amérique de la prohibition, l'alcool coule à flot, les liaisons adultérines sont monnaie courante, et tout est fête, musique jazz, insouciance et égoïsme. Parce que l'origine de sa fortune reste obscure, parce qu'on ne comprend pas le motif de sa générosité, on montre Gatsby du doigt, on l'accuse des pires perversions or, et c'est là toute la force du personnage, malgré les liens avec la mafia New new-yorkaise, les trafics d'alcool et autre blanchiments d'argent, Gatsby est pur : tout cela n'a qu'un but, qu'un objectif, effacer ces cinq années qui l'ont séparé de Daisy. La grandeur du personnage (The great Gatsby est le titre original) réside en sa capacité inébranlable à espérer. C'est aussi ce qui causera sa perte. Seul le narrateur entraperçoit, à la fin du roman, cette vérité : « Ce sont des mufles. A vous seul, vous valez mieux que toute la sacrée bande ».
Une autre réussite du roman est dans les décors savamment mis en place par Fitzgerald. Les personnages évoluent dans trois lieux distincts. Il y a d'abord Manhattan, dont la frénésie cache les activités secrètes des uns et des autres. Ensuite Long Island, où vivent les personnages, le narrateur dans sa bicoque, Gatsby dans son manoir délirant et, en face, de l'autre côté de la baie, Daisy et Tom dans leur demeure patricienne de East Egg. Et entre les deux, un no man's land poussièreux, vallée de cendres, pays de grisaille sur lequel veille, telle une gigantesque divinité silencieuse, le regard du docteur T.J.Eckeleburg, une immense affiche publicitaire pour un occuliste, oubliée là depuis de nombreuses année... et c'est de cet entre-deux, que les personnages traversent en permanence, que viendra la désolation finale, comme un châtiment...
J'adore Gatsby le magnifique, et je donnerais cher pour savoir si Jo Digonnet se souvient encore de ce roman aujourd'hui... Anaïs T.