dimanche 10 novembre 2013

Les Nouvelles Confessions de William Boyd***


Achevé le 9 novembre 2013

Les Nouvelles Confessions de William Boyd
roman anglais, 1988 (éd. Points), 633 p.

«  Voici l’histoire d’une vie. Ma vie. La vie d’un homme au vingtième siècle. Ce que j’ai fait et ce qu’on m’a fait. Si parfois il m’est arrivé d’employer quelque ornement innocent, cela n’a jamais été que pour pallier un défaut de mémoire. J’ai pu quelquefois prendre pour un fait ce qui n’était guère plus qu’une probabilité, mais – et ceci est capital – je n’ai jamais fait passer pour vrai ce que je savais être faux. Je me montre tel que je fus : méprisable et vil quand je me comportai de la sorte ; bon, généreux et sublime quand je l’ai été. J’ai toujours observé de très près ceux qui m’entouraient et je ne me suis pas épargné ce même examen minutieux. Je suis tout simplement un réaliste. Je ne juge pas. Je note. Ainsi donc, me voici. Vous pourrez gémir sur mes incroyables gaffes, me maudire pour mes innombrables imbécillités et rougir jusqu’à la racine des cheveux de mes confessions, mais – mais – pouvez-vous, je me le demande, pouvez-vous vraiment mettre la main sur votre coeur et dire : " Je fus meilleur que lui ? '' » (p.14)


Il m'arrive parfois de faire des razzias de livres de poche chez Emmaüs, et dans ces piles de vieux bouquins à 10 ou 20 centimes, parfois moins, je découvre souvent de vrais trésors... Alors sans doute pensez-vous que j'arrive franchement après la bataille, mais je l'avoue je ne connaissais pas ce qui me paraît clairement être un classique de la littérature.
Au début du 20e siècle, les Breton, et autre Valéry, glorieux inspirateurs du Surréalisme, condamnent haut et fort le « roman à la Balzac », pour eux, ces histoires de personnages aux prises avec leur époque, leur société, leur émotions sont définitivement has been, plus jamais nous n'écrirons, disent-ils, « La marquise sortit à cinq heures... ». Mais voilà, l'histoire littéraire leur a définitivement donné tort, et, de mon point de vue, le roman à la papa a encore de belles choses à nous apporter...
Dans les Nouvelles Confessions, William Boyd délègue la parole à son personnage, John James Todd, qui depuis sa retraite ensoleillée sur une île espagnole, dans les années 70, retrace les grandes lignes de sa vie, de sa petite enfance en Ecosse, auprès d'un père et d'un frère indifférents, à son destin de cinéaste hollywoodien, en passant par les tranchées de la première guerre mondiale, le Berlin des années 30, la chasse aux communistes, etc... Le parti pris est celui de l'hommage rendu à Rousseau, auteur des Confessions : James John Todd promet d'écrire sa vie avec lucidité et honnêteté, sur le modèle du fameux texte de Rousseau, mais ce contrat de lecture entre lecteur et personnage-auteur n'est pas le seul aspect rousseauiste à relever. James John Todd en 1918 est prisonnier en Belgique occupée ; il se lie d'amitié avec Karl-Heinz, son gardien allemand, qui lui offre un jour, pour soulager l'ennui de la captivité, un ouvrage, Les Confessions de Rousseau. Pour James John Todd, c'est une révélation : plus tard, devenu l'un des premiers réalisateurs de l'histoire du cinéma, celui du noir et blanc , et du muet, il ne cessera de chercher à adapter à l'écran la biographie du philosophe des Lumières, sans se rendre compte, que dans sa propre vie, il passe peu ou prou à travers les mêmes épisodes, comme la relation trouble avec sa nurse ou l'abandon de ses propres enfants...
Nul besoin de connaître le texte de Rousseau pour savourer l'oeuvre de William Boyd, un très grand roman, par exemple pour qui s'intéresse à l'histoire du cinéma... Pour moi, William Boyd avec Les Nouvelles Confessions se situe quelque part entre Céline et John Irving, et ça n'est pas peu dire ! Anaïs T.

Snuff de Chuck Palahnuik**


Achevé le 2 novembre 2013

Snuff de Chuck Palahnuik
roman américain, 2012 (éd. Points), 213 p.

«  Au milieu des escaliers, les numéros 247 et 354 agitent leur bidoche, mains fourrées sous l'élastique du caleçon, et attendent. Sheila leur dit : « Messieurs, je vous demande un peu de patience. » Elle dit : « Pour le bien être de miss Wright, nous avons besoin de procéder de manière calme et organisée. » » (p.111)



Pour ceux qui ne connaissent pas le sulfureux Chuck Palahniuk, pensez au film Fight club, c'est une adaptation de l'un de ses romans. Il est aussi l'auteur de l'excellent Choke, dont en effet on peine à se remettre tant l'écriture est forte et à contre courant... On pourrait dire en quelque sorte que Chuck Palahnuik est un Houellebecq américain, qui aurait troqué la sinistrose franchouillarde contre des paillettes plus américaines...
Snuff est en soi une provocation : une hardeuse déguise son suicide en un gigantesque show porno, le plus grand bang gang de tous les temps, un marathon de 600 partenaires auquel de toutes façons elle ne survivra pas... L'intérêt réside dans le choix de l'écriture : nous ne verrons rien de cette prestation, sinon le final, explosif. L'auteur préfère nous raconter ces quelques heures depuis la coulisse, à travers les consciences et les propos de trois de ces participants masculins. Le pathétique n°137, vedette de la télé dont le coming out homosexuel a brisé la carrière, est en quête de « réhabilitation » publique par ce qu'il croit être l'ultime performance virile, être l'un des 600 mâles de ce record mondial... Le n°600, célèbre hardeur lui-même, partenaire habituel de Cassie Wright, dont les mauvaises langues chuchotent qu'il serait à l'origine de sa carrière, une voie pas vraiment librement choisie... Et ce pauvre n°72, jeune homme timide, persuadé d'être le fils caché de la porno star, et bien décidé à « sauver môman »... Dans ce texte, à ne pas mettre entre toutes le mains, pathétique et humour s'entremêlent, et, si c'est à la mise à mort d'une pauvre femme que l'on assiste, c'est en même temps le triomphe d'une autre, beaucoup plus machiavélique, qui se dévoile, et toute accusation de misogynie à l'égard du dernier roman de Chuck Palahnuik se trouve ainsi anéantie ! Pas son meilleur roman, mais un texte savoureux malgré tout… Anaïs T.