mardi 17 juin 2014

La Trilogie berlinoise de Philip Kerr***


Sur les pas d'un privé dans le Berlin des années 30-40
 
Achevé le 10 juin 2014

La trilogie berlinoise de Philip Kerr
roman anglais, 1989-1990-1991 (éd.le livre de poche), 1015p.

« Ce soir-là, on eût dit que tout Berlin s'était donné rendez-vous à Neukölln, où Goebbels devait parler. Comme à son habitude, il jouerait de sa voix en chef d'orchestre accompli, faisant alterner la douceur persuasive du violon et le son alerte et moqueur de la trompette. Des mesures avaient par ailleurs été prises pour que les malchanceux ne pouvant pas aller voir de leurs propres yeux le Flambeau du peuple puissent au moins entendre son discours. En plus des postes de radio qu'une loi récente obligeait à installer dans les restaurants et les cafés, on avait fixé des haut-parleurs sur les réverbères et les façades de la plupart des rues. Enfin, la brigade de surveillance radiophonique avait pour tâche de frapper aux portes des appartements afin de vérifier si chacun observait son devoir civique en écoutant cette importante émission du parti. » (p.85)


Il y a dans les polars de Philip Kerr tous les ingrédients du polar : une bonne dose d'affreux bandits, un soupçon de femmes fatales, des trahisons, des macchabées, et surtout, en guise de héros, un détective privé délicieusement cynique et à la verve volontiers ironique :
« A côté du décorateur qui avait conçu l'agencement de l'appartement, l'archiduc Ferdinand semblait avoir autant de goût qu'un nain de cirque turc. » (p.88)
« Tu ferais vomir une mouche à merde. » (p.149)
« Vous sentez tellement le poulet que vous en avez presque les plumes. » (p.172)
« Un froid de devanture de boucherie m'envahit le haut du corps. » (p.292)
Pourtant, L'été de cristal, La pâle figure et Requiem allemand ne sont pas des romans noirs au sens classique du terme, car ce n'est pas dans les rues de Chicago ou de L.A. que Bernie Gunther traine son pardessus élimé, mais dans celles de Berlin, dans ses heures les plus sombres : pendant l'installation et la montée en puissance du IIIe Reich, et en 1947, à travers l'Allemagne en ruines. J'ai trouvé cette trilogie passionnante en cela que nous suivons un homme auquel nous pouvons nous identifier tout au long de cette période particulièrement complexe : ces romans nous font vivre de l'intérieur les problématiques liées à la question des persécutions contre les Juifs, au nazisme, à l'occupation de Berlin par les forces russes, américaines et françaises, tout cela d'un point de vue allemand. Je précise quand même que si le premier des trois textes est relativement (j'insiste sur l'adverbe!) léger – Bernie Gunther enquête sur la disparition d'un bijou avec en toile de fond les jeux olympiques berlinois, les suivants sont bien plus sombres, voire désespérés, ainsi que plus complexes puisque Philip Ker utilise le genre romanesque pour développer une théorie autour de liens secrets entre les services secrets alliés et d'anciens nazis, comme Heinrich Müller. A lire.                          Anaïs T.

dimanche 15 juin 2014

Villa avec piscine de Herman Koch**


De la laideur des corps à celle des âmes : 
le dernier roman de l'auteur du Dîner 
Achevé le 13 juin 2014

Villa avec piscine d'Herman Koch
roman néerlandais, 2011 (éd.10/18), 430p.

« Déjà quand ils sont habillés, je trouve tous ces corps humains assez épouvantables. Je n'ai pas besoin de les regarder, ces parties du corps qui ne voient jamais le soleil. Ces plis de la peau à l'intérieur desquels il fait toujours trop chaud et où les bactéries ont le champ libre, ces champignons et ces inflammations entre les orteils, sous les ongles, ces doigts qui grattent, ces doigts qui frottent jusqu'à ce que ce ça saigne... Regardez docteur, c'est là que ça ma démange le plus... Non, je ne veux pas voir. Je fais mine de regarder mais pendant ce temps là, je pense à autre chose. » (p.8)



Le narrateur de cette histoire est un médecin. Un médecin spécialisé dans les artistes et les célébrités. Célébrités qui boivent trop, qui mangent trop, qui sont à deux doigts de voir leur foie éclater, leur cœur s'arrêter. Mais le narrateur ne leur dit pas : il est plus simple de conforter les patients dans leurs vices que de les en détourner : « Il ne faut rien exagérer, on dit beaucoup de choses idiotes sur les risques de l'alcool », « Avez-vous essayé cette recette de cuisine ? C'est un peu riche mais quand ça fait du bien ça ne peut pas faire de mal », etc... Le narrateur n'aime pas ses patients artistes, d'ailleurs, s'ils pouvaient crever, et si possible ailleurs que dans son cabinet... Pourtant il se lie à l'un d'eux, Ralph Meier, grand comédien de la scène néerlandaise – bien sûr pour de mauvaises raisons - et à partir de ce moment là, subtilement mais efficacement, l'intrigue va entraîner le narrateur, son épouse Caroline et leurs deux filles vers un événement dont on pourra dire : après ça, les choses n'ont plus jamais été les mêmes...
Villa avec piscine est du même tonneau, âpre et acide, terriblement efficace, que Le Dîner, précédent roman d'Herman Koch. Même principes de base aussi : la bassesse humaine et la laideur des âmes, dans une histoire racontée par le regard d'un narrateur auquel on s'identifie au début pour tout à coup s'en détacher, comme soudain glacé par la réalité malsaine de la psychologie qui s'exprime sous nos yeux. A lire avec délice seulement si le cynisme et l'immoralité ne vous scandalisent pas trop ! Évidemment, amateurs de happy end et de moralement correct s'abstenir ! Anaïs T.