samedi 25 mai 2013

Gatsby le magnifique de F.Scott Fitzgerlad****

Gatsby le magnifique,  chef d’œuvre à redécouvrir...


Achevé le 18 mai 2013

Gatsby le magnifique de F.Scott Fitzgerald
roman américain, 1925 (éd.le Livre de Poche), 252 p.

«  Le dimanche matin, tandis que sonnaient les cloches dans les villages de la côte, chacun avec sa maitresse revenait chez Gatsby et scintillait avec hilarité sur la pelouse.
« C'est un bootlegger, disaient les jeunes femmes, tout en se pavanant parmi ses cocktails et ses fleurs. Il a tué un homme qui avait découvert qu'il est le neveu d'Hindenburg, et le cousin du diable. Attrape-moi donc une rose, ma jolie, et verse une dernière goutte dans c'te coupe de cristal. » » ( p.98)



Avec tout le battage cannois et di caprien du moment, j'ai eu envie de relire Gatsby le magnifique. Dans ma bibliothèque j'ai retrouvé un très vieux livre de poche, probablement ancien exemplaire d'une quelconque bibliothèque de prêt, puisqu'à la fin de mon bouquin se trouve encore la fiche que devait remplir chaque emprunteur. A côté du titre, la cote R FIT G, mais surtout un nom, celui de la seule personne qui ait eu l'envie de lire ce texte, et surtout une date : 4 février 1975. Je ne sais pas qui est Jo Digonnet, mais je n'étais pas née lorsqu'il a savouré Gatsby le magnifique...
Car c'est un sublime roman, infiniment précieux. La force du texte réside d'abord bien sûr dans son personnage principal, le mystérieux Gatsby, propriétaire d'une gigantesque demeure à Long Island, où il organise fêtes après fêtes, dans l'espoir d'y voir un jour venir Daisy, la seule femme qu'il ait jamais aimée, aujourd'hui épouse d'un richissime butor. Dans cette Amérique de la prohibition, l'alcool coule à flot, les liaisons adultérines sont monnaie courante, et tout est fête, musique jazz, insouciance et égoïsme. Parce que l'origine de sa fortune reste obscure, parce qu'on ne comprend pas le motif de sa générosité, on montre Gatsby du doigt, on l'accuse des pires perversions or, et c'est là toute la force du personnage, malgré les liens avec la mafia New new-yorkaise, les trafics d'alcool et autre blanchiments d'argent, Gatsby est pur : tout cela n'a qu'un but, qu'un objectif, effacer ces cinq années qui l'ont séparé de Daisy. La grandeur du personnage (The great Gatsby est le titre original) réside en sa capacité inébranlable à espérer. C'est aussi ce qui causera sa perte. Seul le narrateur entraperçoit, à la fin du roman, cette vérité : « Ce sont des mufles. A vous seul, vous valez mieux que toute la sacrée bande ».
Une autre réussite du roman est dans les décors savamment mis en place par Fitzgerald. Les personnages évoluent dans trois lieux distincts. Il y a d'abord Manhattan, dont la frénésie cache les activités secrètes des uns et des autres. Ensuite Long Island, où vivent les personnages, le narrateur dans sa bicoque, Gatsby dans son manoir délirant et, en face, de l'autre côté de la baie, Daisy et Tom dans leur demeure patricienne de East Egg. Et entre les deux, un no man's land poussièreux, vallée de cendres, pays de grisaille sur lequel veille, telle une gigantesque divinité silencieuse, le regard du docteur T.J.Eckeleburg, une immense affiche publicitaire pour un occuliste, oubliée là depuis de nombreuses année... et c'est de cet entre-deux, que les personnages traversent en permanence, que viendra la désolation finale, comme un châtiment...
J'adore Gatsby le magnifique, et je donnerais cher pour savoir si Jo Digonnet se souvient encore de ce roman aujourd'hui... Anaïs T.



vendredi 24 mai 2013

Les Sopranos d'Alan Warner

Les Sopranos, lamentable mélodie


Abandonné le 11 mai 2013

Les Sopranos de Alan Warner
roman écossais, 2008 (éd.Points), 405 p.

«  Les filles se marrent.
« Quand même cette Condom, quelle vieille... salope de connasse hein ?
- on voit d'jà qu'elle va pas arrêter d'nous péter les nibards toute la journée. Et les deux autres chiées de petites gnasses, la Kay Clarke et Ana, vous les avez pas entendues qui s'bidonnaient comme des connes...
- A propos de nibards (Fionna enfonce un doigt mollo dans le gauche de Manda), t'as pris ton wonderbra ?
- A fond !
- A fond de culotte ! » » ( p.42)


Tout le roman est écrit ainsi : préoccupations d'adolescentes obsédées sexuelles, restées trop longtemps cloitrées dans leur école de bonnes sœurs et lâchées en ville, vocabulaire digne du plus vulgaire des charretiers... et pas franchement d'intrigue, ni même de satire sociale. Bref passez allégrement votre chemin et allez lire Du domaine des murmures de Carole Martinez (au hasard...) ! Anaïs T.

 

vendredi 10 mai 2013

Impurs de David Vann***


Impurs, l'occasion d'une belle rencontre avec l'auteur

Lecture achevée le 9 mai 2013

Impurs de David Vann
roman américain, 2013 (éd. Gallmesteir), 279p.

« Galen extatique, son âme tout entière débordante d'amour. Son pied sur la surface, froide, le souffle de l'eau et c'était une bonne chose, il allait y arriver, mais son pied s'enfonça, et il bascula, essayant de maintenir les paumes vers le ciel, essayant de sauver l'instant, essayant de ne pas perdre la foi. Le pas suivant serait assuré, il posa donc l'autre pied mais il s'enfonça à son tour, Galen se tordit la cheville sur la pierre en dessous, il tomba en avant, heurta l'eau tête la première dans un choc glacial, la respiration brutalement coupée. Il aspira de l'eau, repoussa pierre et sable pour se redresser, battant des bras. Il toussa, chancela et tomba encore, la cheville tordue, trop faible pour y prendre appui, aussi se hissa-t-il sur ses fesses, et à l'aide de ses bras se traina à reculons sur la berge. Il rampa hors de l'eau et resta étendu par terre. Mais putain, dit-il. Quand est-ce que je vais y arriver ? »  (p.97)




         Mardi dernier, David Vann est venu à la rencontre de ses lecteurs à la bibliothèque municipale de Saint Etienne, pour parler de son dernier roman, Impurs. Un moment étonnant, car David Vann drôle et léger, instaure une atmosphère de chaleur et de complicité a mille lieues de l'univers glaçant de ses romans. J'ai déjà eu l'occasion de dire à quel point Sukken island et Désolations (cf mes critiques) sont des textes réfrigérants – et pas seulement parce qu'ils prennent pour décor l'Alaska. Avec Impurs, à l'inverse, nous sommes dans la fournaise du désert californien, et pourtant, le lecteur sort de ce roman tout aussi transi.
            Galen a vingt deux ans, et vit seul avec sa mère. Comme un vieux couple qui n'en finit plus de ne plus se supporter, dans une maison à l'histoire familiale pesante, ils n'ont de relation avec l'extérieur qu'à travers une tante haineuse, une jeune cousine perverse et une grand-mère pitoyablement amnésique. Et, riche, parait-il, très riche. Si magot il y a, pourquoi Galen n'a-t-il jamais été autorisé à aller à l'université ? Pourquoi n'a-t-il jamais pu voyager ? Pourquoi rester vivre dans cet enfer terrestre ? Pourquoi la haine de la tante et la détresse de la grand-mère ? Faute de réponses, et nanti de sérieux troubles psychiques, Galen se réfugie dans l'idéologie New Age, en perpétuelle quête de communion transcendantale avec la nature, l'eau, les pierre, la terre – d'où « Dirt », le titre original du roman. Jusqu'au moment où tout dérape, et où la folie du personnage ne se contente plus de le pousser à essayer de marcher sur l'eau...

             Lors de la rencontre avec quelques uns de ses lecteurs, David Vann nous a expliqué que Dirt était inspiré de son propre passé familial, douloureux (une grand-mère battue par son mari, le suicide de son père, sa relation ambigüe avec sa mère, sans parler de cinq suicides et d'un meurtre!), et que l'écriture du roman s'est faite avec un fort sentiment de culpabilité. En effet, au moment où il avait bien conscience d'opérer une forme de cure cathartique contre ses propres démons, il a en réalité pris beaucoup de plaisir à écrire : selon lui, Galen est « funny », tellement drôle car si ridicule ! « Writers are very bad people ! » Raconter l'échec solitaire et cuisant de ses expériences New Age l'a beaucoup amusé, d'autant que David Vann nous a avoué avoir mis beaucoup de lui-même dans cette facette hallucinée du personnage, puisqu'il a adhéré par le passé au même type de croyances ! En écrivant ce troisième roman, l'auteur a pris conscience d'une sorte de lien entre ses textes : il s'agit chaque fois de démontrer par leurs conséquences brutales les dangers de toute croyance aveugle. Avec Sukken island et Désolations, il s'agissait de ce rêve romantique de retour à une innocence première, pas très loin du mythe du bon sauvage ; dans Impurs, ce sont les dérives de spiritualités alternatives qui sont pointées du doigt, et dans son prochain roman, il traitera des dangers potentiels de la foi chrétienne.
            Autre lien, la cabane en planche, que l'on retrouve, sous deux formes différentes dans Impurs : David Vann nous l'a juré mardi dernier, on ne l'y reprendra plus ! Plus jamais il ne mettra de cabane dans ses romans car un critique anglais en a fait un motif suffisant pour descendre son œuvre, alors que jamais on a reproché à d'autres auteurs américains de prendre encore et toujours comme décors de leurs œuvres des lofts New new-yorkais ! So unfair... Anaïs T.


Rien ne s'oppose à la nuit de Delphine de Vigan***


Rien ne s'oppose à la nuit, Delphine recherche Lucile désespérément

Lecture achevée le 3 mai 2013

Rien ne s'oppose à la nuit de Delphine de Vigan
roman français, 2011 (éd. Le Livre de Poche), 401p.

« Derrière la mythologie, il y a la mort d'un enfant et l'arrivée d'un autre : une pièce de puzzle qu'on essaie de faire rentrer de force, me dira Violette lors de mes entretiens. Dans les notes que Lucile a écrites sur son enfance, récupérées chez elle au fond d'un carton, à propos de l'arrivée de Jean-Marc, j'ai trouvé cette phrase : Ainsi je découvrais confusément, malgré les explications et les dénégations, que nous étions interchangeables. Je n'ai jamais pu me convaincre par la suite du contraire, ni dans les rapports amoureux, ni dans les rapports amicaux. »  (p.79)


       Dans Rien ne s'oppose à la nuit – titre qu'elle emprunte à une chanson de Bashung, Delphine de Vigan raconte sa mère, Lucile. Lucile est née à une autre époque, celle du Paris d'après guerre, dans une famille nombreuse et joyeusement turbulente, entre sa mère Liane, et ses grossesses radieuses et permanentes, son père, Georges qui fait vivre bon an mal an toute la tribu, et ses huit frères et sœurs, une vie de bohème avant l'heure. Mais voilà, derrière la légèreté et les souvenirs cartes postales, des secrets, des mensonges et des drames.
       Parce que si Delphine de Vigan entreprend de raconter sa mère, c'est que celle-ci n'est plus, elle vient de se suicider, et c'est la romancière, qui a reçu en héritage le fardeau de découvrir son corps sans vie, et de comprendre. Lucile était maniaco-dépressive1, oscillant entre l'abattement le plus terrifiant et des crises de folie délirante... Si le suicide a été la dernière conséquence de ces troubles bipolaires, ceux-ci trouvent nécessairement leur cause dans le passé et l'histoire personnelle de Lucile. Et c'est bien une enquête que Delphine de Vigan nous donne à lire, la sienne, faite de ses propres souvenirs d'enfance, de conversations avec ceux qui sont encore en vie, de retranscriptions de cassettes audio enregistrées par le grand-père, de films en super 8... Il ne s'agit pas d'autofiction, il ne s'agit pas non plus de se délecter de sordides secrets de famille. Aucun voyeurisme dans Rien ne s'oppose à la nuit, mais un récit sincère et prudent, où chaque ligne est pesée, réfléchie, douloureuse...
      Delphine de Vigan écrit quelque part dans son texte qu'en guise d'hommage à quelqu'un que l'on aime, le tombeau littéraire est sans doute ce qu'il y a de plus beau : avec Rien ne s'oppose à la nuit, le souvenirs précieux de cette belle blonde à la cigarette est fixé dans nos têtes et pour longtemps...

1comme l'artiste contemporain Gérard Garouste qu'elle évoque souvent.