Impurs, l'occasion d'une belle rencontre avec l'auteur
Lecture
achevée le 9 mai 2013
Impurs
de David Vann
roman
américain, 2013 (éd. Gallmesteir), 279p.
« Galen
extatique, son âme tout entière débordante d'amour. Son pied sur
la surface, froide, le souffle de l'eau et c'était une bonne chose,
il allait y arriver, mais son pied s'enfonça, et il bascula,
essayant de maintenir les paumes vers le ciel, essayant de sauver
l'instant, essayant de ne pas perdre la foi. Le pas suivant serait
assuré, il posa donc l'autre pied mais il s'enfonça à son tour,
Galen se tordit la cheville sur la pierre en dessous, il tomba en
avant, heurta l'eau tête la première dans un choc glacial, la
respiration brutalement coupée. Il aspira de l'eau, repoussa pierre
et sable pour se redresser, battant des bras. Il toussa, chancela et
tomba encore, la cheville tordue, trop faible pour y prendre appui,
aussi se hissa-t-il sur ses fesses, et à l'aide de ses bras se
traina à reculons sur la berge. Il rampa hors de l'eau et resta
étendu par terre. Mais putain, dit-il. Quand est-ce que je vais y
arriver ? » (p.97)
Mardi
dernier, David Vann est venu à la rencontre de ses lecteurs à la
bibliothèque municipale de Saint Etienne, pour parler de son dernier
roman, Impurs.
Un moment étonnant, car David Vann drôle et léger, instaure une
atmosphère de chaleur et de complicité a mille lieues de l'univers
glaçant de ses romans. J'ai déjà eu l'occasion de dire à quel
point Sukken
island
et Désolations
(cf mes critiques) sont des textes réfrigérants – et pas
seulement parce qu'ils prennent pour décor l'Alaska. Avec Impurs,
à l'inverse, nous sommes dans la fournaise du désert californien,
et pourtant, le lecteur sort de ce roman tout aussi transi.
Galen
a vingt deux ans, et vit seul avec sa mère. Comme un vieux couple
qui n'en finit plus de ne plus se supporter, dans une maison à
l'histoire familiale pesante, ils n'ont de relation avec l'extérieur
qu'à travers une tante haineuse, une jeune cousine perverse et une
grand-mère pitoyablement amnésique. Et, riche, parait-il, très
riche. Si magot il y a, pourquoi Galen n'a-t-il jamais été autorisé
à aller à l'université ? Pourquoi n'a-t-il jamais pu
voyager ? Pourquoi rester vivre dans cet enfer terrestre ?
Pourquoi la haine de la tante et la détresse de la grand-mère ?
Faute de réponses, et nanti de sérieux troubles psychiques, Galen
se réfugie dans l'idéologie New Age, en perpétuelle quête de
communion transcendantale avec la nature, l'eau, les pierre, la terre
– d'où « Dirt », le titre original du roman. Jusqu'au
moment où tout dérape, et où la folie du personnage ne se contente
plus de le pousser à essayer de marcher sur l'eau...
Lors
de la rencontre avec quelques uns de ses lecteurs, David Vann nous a
expliqué que Dirt était inspiré de son propre passé familial,
douloureux (une grand-mère battue par son mari, le suicide de son
père, sa relation ambigüe avec sa mère, sans parler de cinq
suicides et d'un meurtre!), et que l'écriture du roman s'est faite
avec un fort sentiment de culpabilité. En effet, au moment où il
avait bien conscience d'opérer une forme de cure cathartique contre
ses propres démons, il a en réalité pris beaucoup de plaisir à
écrire : selon lui, Galen est « funny », tellement
drôle car si ridicule ! « Writers are very bad people ! »
Raconter l'échec solitaire et cuisant de ses expériences New Age
l'a beaucoup amusé, d'autant que David Vann nous a avoué avoir mis
beaucoup de lui-même dans cette facette hallucinée du personnage,
puisqu'il a adhéré par le passé au même type de croyances !
En écrivant ce troisième roman, l'auteur a pris conscience d'une
sorte de lien entre ses textes : il s'agit chaque fois de
démontrer par leurs conséquences brutales les dangers de toute
croyance aveugle. Avec Sukken island et Désolations, il s'agissait
de ce rêve romantique de retour à une innocence première, pas très
loin du mythe du bon sauvage ; dans Impurs, ce sont les dérives
de spiritualités alternatives qui sont pointées du doigt, et dans
son prochain roman, il traitera des dangers potentiels de la foi
chrétienne.
Autre lien,
la cabane en planche, que l'on retrouve, sous deux formes différentes
dans Impurs : David Vann nous l'a juré mardi dernier, on ne l'y
reprendra plus ! Plus jamais il ne mettra de cabane dans ses
romans car un critique anglais en a fait un motif suffisant pour
descendre son œuvre, alors que jamais on a reproché à d'autres
auteurs américains de prendre encore et toujours comme décors de
leurs œuvres des lofts New new-yorkais ! So unfair... Anaïs T.
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