vendredi 10 mai 2013

Impurs de David Vann***


Impurs, l'occasion d'une belle rencontre avec l'auteur

Lecture achevée le 9 mai 2013

Impurs de David Vann
roman américain, 2013 (éd. Gallmesteir), 279p.

« Galen extatique, son âme tout entière débordante d'amour. Son pied sur la surface, froide, le souffle de l'eau et c'était une bonne chose, il allait y arriver, mais son pied s'enfonça, et il bascula, essayant de maintenir les paumes vers le ciel, essayant de sauver l'instant, essayant de ne pas perdre la foi. Le pas suivant serait assuré, il posa donc l'autre pied mais il s'enfonça à son tour, Galen se tordit la cheville sur la pierre en dessous, il tomba en avant, heurta l'eau tête la première dans un choc glacial, la respiration brutalement coupée. Il aspira de l'eau, repoussa pierre et sable pour se redresser, battant des bras. Il toussa, chancela et tomba encore, la cheville tordue, trop faible pour y prendre appui, aussi se hissa-t-il sur ses fesses, et à l'aide de ses bras se traina à reculons sur la berge. Il rampa hors de l'eau et resta étendu par terre. Mais putain, dit-il. Quand est-ce que je vais y arriver ? »  (p.97)




         Mardi dernier, David Vann est venu à la rencontre de ses lecteurs à la bibliothèque municipale de Saint Etienne, pour parler de son dernier roman, Impurs. Un moment étonnant, car David Vann drôle et léger, instaure une atmosphère de chaleur et de complicité a mille lieues de l'univers glaçant de ses romans. J'ai déjà eu l'occasion de dire à quel point Sukken island et Désolations (cf mes critiques) sont des textes réfrigérants – et pas seulement parce qu'ils prennent pour décor l'Alaska. Avec Impurs, à l'inverse, nous sommes dans la fournaise du désert californien, et pourtant, le lecteur sort de ce roman tout aussi transi.
            Galen a vingt deux ans, et vit seul avec sa mère. Comme un vieux couple qui n'en finit plus de ne plus se supporter, dans une maison à l'histoire familiale pesante, ils n'ont de relation avec l'extérieur qu'à travers une tante haineuse, une jeune cousine perverse et une grand-mère pitoyablement amnésique. Et, riche, parait-il, très riche. Si magot il y a, pourquoi Galen n'a-t-il jamais été autorisé à aller à l'université ? Pourquoi n'a-t-il jamais pu voyager ? Pourquoi rester vivre dans cet enfer terrestre ? Pourquoi la haine de la tante et la détresse de la grand-mère ? Faute de réponses, et nanti de sérieux troubles psychiques, Galen se réfugie dans l'idéologie New Age, en perpétuelle quête de communion transcendantale avec la nature, l'eau, les pierre, la terre – d'où « Dirt », le titre original du roman. Jusqu'au moment où tout dérape, et où la folie du personnage ne se contente plus de le pousser à essayer de marcher sur l'eau...

             Lors de la rencontre avec quelques uns de ses lecteurs, David Vann nous a expliqué que Dirt était inspiré de son propre passé familial, douloureux (une grand-mère battue par son mari, le suicide de son père, sa relation ambigüe avec sa mère, sans parler de cinq suicides et d'un meurtre!), et que l'écriture du roman s'est faite avec un fort sentiment de culpabilité. En effet, au moment où il avait bien conscience d'opérer une forme de cure cathartique contre ses propres démons, il a en réalité pris beaucoup de plaisir à écrire : selon lui, Galen est « funny », tellement drôle car si ridicule ! « Writers are very bad people ! » Raconter l'échec solitaire et cuisant de ses expériences New Age l'a beaucoup amusé, d'autant que David Vann nous a avoué avoir mis beaucoup de lui-même dans cette facette hallucinée du personnage, puisqu'il a adhéré par le passé au même type de croyances ! En écrivant ce troisième roman, l'auteur a pris conscience d'une sorte de lien entre ses textes : il s'agit chaque fois de démontrer par leurs conséquences brutales les dangers de toute croyance aveugle. Avec Sukken island et Désolations, il s'agissait de ce rêve romantique de retour à une innocence première, pas très loin du mythe du bon sauvage ; dans Impurs, ce sont les dérives de spiritualités alternatives qui sont pointées du doigt, et dans son prochain roman, il traitera des dangers potentiels de la foi chrétienne.
            Autre lien, la cabane en planche, que l'on retrouve, sous deux formes différentes dans Impurs : David Vann nous l'a juré mardi dernier, on ne l'y reprendra plus ! Plus jamais il ne mettra de cabane dans ses romans car un critique anglais en a fait un motif suffisant pour descendre son œuvre, alors que jamais on a reproché à d'autres auteurs américains de prendre encore et toujours comme décors de leurs œuvres des lofts New new-yorkais ! So unfair... Anaïs T.


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