mardi 19 février 2013

Zazie dans le métro de Raymond Queneau**

Zazie dans le métro et dans nos cœurs...

Zazie dans le métro de Raymond Queneau
roman français, 1959 (éd.folioplus classiques), 193p.


« - Zazie, déclare Gabriel en prenant un air majestueux trouvé sans peine dans son répertoire, si ça te plait de voir vraiment les Invalides et le tombeau véritable du vrai Napoléon, je t'y conduirai.
- Napoléon mon cul, réplique Zazie. Il m'intéresse pas du tout, cet enflé, avec son chapeau à la con.
- Qu'est-ce qui t'intéresse alors ?
Zazie ne répond pas.
- Oui, dit Charles avec une gentillesse inattendue, qu'est-ce qui t'intéresse ?
- Le métro. » (p.14)

       Zazie dans le métro, c'est l'histoire d'une petite provinciale venue passer deux jours chez son tonton Gabriel à Paris. Le métro, elle ne le verra pas, « bicoze la grève », ou alors endormie. Deux jours, ce sera juste le temps de semer une parfaite zizanie dans l'univers bien chorégraphié de Gabriel et Marcelline, de Turandot, de Gridoux, de Mado P'tits pieds...
         Ce qu'il y a de bien, avec Zazie dans le métro, c'est qu'on peut le lire et l'apprécier à tous les âges. Aux enfants – et aux esprits restés jeunes ! - la saveur des grossieretés de Zazie : « moi qu'étais si heureuse, si contente et tout, d'aller m'voiturer dans l'métro. Sacrebleu, merde alors ». Aux amateurs de la langue française : « Et puis faut s'grouiller : Charles attend », « mademoiselle, vos insinuations ne sont pas de celles que l'on subtruque à une dame dans l'état de veuvage ». Aux admirateurs de Lacan et autres freudiens : la ballade labyrinthique dans Paris comme récit initiatique, avec la bouche de métro, métaphore de la matrice originelle, de la quête de l'interdit, de la libido enfantine, et d'ailleurs le dernier mot de Zazie n'est-il pas : « J'ai vieilli ». Aux nostalgiques du Paris d'après-guerre : le « bloudjinnzes » comme utime objet du désir pour Zazie – après le métro bien sûr. Ou encore aux raffinés littéraires qui apprécieront toutes les références intertextuelles que Queneau glisse dans son roman, comme autant de clins d'oeil à la « grande littérature » : la question de l'inversion sexuelle (« le tonton Gabriel est une tante », « qu'il soit hormosessuel ? Mais qu'est-ce que ça veut dire ? Qu'il se mette du parfum ? »), la tante Marcelline qui se transforme in fine en Marcel, ou encore comme le souligne Louis Malle dans son génial film du même nom : « la Madeleine, c'est du passé, n'en parlons plus », autant de références à la Recherche du Temps perdu de Marcel Proust...
       Bref relisez cette confiserie littéraire qu'est Zazie dans le métro, ou redécouvrez le film de Louis Malle, œuvre cinématographique expérimentale et unique en son genre !  Anaïs T.


samedi 16 février 2013

Les privilèges de Jonathan Dee*

Les Privilèges, néo-cynisme à l'américaine

Achevé le 16 février 2013

Les Privilèges de Jonathan Dee
roman américain, 2010 (éd.10/18), 356p.


«  La Floride. Quelle plaie ! Et peut-être la raison pour laquelle les vieux affluaient ici – être obligé de la quitter ne devait pas sembler si terrible. A l'arrière de la limousine, elle regarda les routes à six voies, les centres commerciaux, les constructions sans fin, les hauts murs et les terrains de golf visibles au loin, comme si la vie sur un terrain de golf était une chose si désirable qu'une vision trop proche risquait de vous brûler les yeux. » (p.302)

Je ne saurais dire s'il s'agit là d'un bon roman, néanmoins, quant à son propos, le texte de Jonathan Dee n'est pas inintéressant. Ça commence comme dans Gossip girl : un mariage prétentieux entre deux jeunes gens de la bonne société new yorkaise, qui se fréquentent depuis toujours, et n'envisagent pas une seconde que leur union, tout comme leur existence de privilégiés, puissent un jour être remises en question, ou bien se transformer en fiasco. Un somptueux appartement sur la cinquième avenue et deux magnifiques enfants plus tard, la vie ne leur a pas donné tort.
On pense bien sûr au Bucher des vanités, mais là où Tom Wolfe prenait un espiègle plaisir à faire tomber les grands de leur piedestal, Jonathan Dee choisit le parti inverse : Cynthia et Adam n'en finissent plus de s'enrichir. En réalité, tout n'est pas très moral ni très propre dans l'origine de cette fortune faramineuse, mais l'auteur n'est pas décidé à se faire moralisateur en infligeant à ses personnages une quelconque punition. Ces quatre-là, les Morey, ne sont ni tout à fait des ordures, ni tout à fait des gens bien, ils sont finalement comme tout le monde, avec des moments de grandeur et des instants de mesquinerie. Chaque fois que ces personnages – et ils le sont tous à un moment donné du récit – sont confrontés au scandale de leur propre richesse, face par exemple à la très grande misère des ouvriers chinois, à la maladie incurable, à la folie et au handicap, la prise de conscience de l'injustice de la situation a lieu : ô combien sont-ils privilégiés ! se disent-ils. Mais la solution chaque fois sera la même, se blottir un peu plus encore dans leur argent, dans leur confort, dans leurs privilèges. Immoral, certes, mais réaliste...
Aurait-on vraiment apprécié un énième happy end à l'américaine, avec rédemption émouvante, retour dans le droit chemin et applaudissements d'une foule émue au larme de tant de grandeur d'âme dans le renoncement  ? Sûrement pas. Anaïs T.




lundi 11 février 2013

La Vague, de Todd Strasser

La Vague, grand thème petit texte

Lu le 11 février 2013

La Vague de Todd Strasser
roman américain, 2008 (éd.Pocket), 153p.



« Christy referma son pot de crème et s'installa confortablement dans le lit. Ben n'avait toujours pas bougé. Il avait raconté à sa femme à quel point ses élèves à sa grande surprise, s'étaient montrés enthousiastes cet après-midi là, mais il avait omis de lui dire que lui aussi s'était pris au jeu. Il serait presque embarrassant d'admettre qu'il pourrait se faire avoir par un truc aussi simple. Pourtant, à la réflexion, il savait que c'était la vérité. L'échange intense de questions et de réponses, la quête de la discipline parfaite étaient contagieux et en un sens, fascinants. » (p.51)

La Vague est basé sur une histoire vraie, celle d'un petit lycée du fin fond des Etats Unis, où, un beau jour, un professeur d'Histoire, dans le but de faire comprendre aux élèves ce que signifiait être allemand au moment de la dictature nazie, décide de mettre en place une expérience pédagogique... Rapidement, le jeu de rôle prend une ampleur inattendue, contre toute attente les élèves se passionnent pour cette discipline militaire, ces slogans, cette annihilation de l'individu au profit du groupe, et la bête obscure renaît... L'intérêt du roman n'est que dans l'anecdote véridique, car par ailleurs le texte, très maigre, est franchement mal écrit, et ne mérite peut-être pas l'effort de sa lecture...
En revanche, ce thème de l'aliénation des individus dans la folie grégaire, de la fascination pour les uniformes, les étendards, les slogans, et la musique wagnérienne, personne ne l'a, je crois mieux retranscrite que Denis de Rougemont, témoin d'un meeting à la gloire d'Hitler, à Munich, le 11 mars 1936 :
« Mais voici une rumeur de marée, des trompettes au dehors. Les lampes à arc s'éteignent dans la salle tandis que des flèches lumineuses s'allument sur la voûte, pointant vers une porte à la hauteur des premières galeries. Un coup de projecteur fait apparaître sur le seuil un petit homme en brun, tête nue, au sourire extatique. Quarante mille hommes, quarante mille bras se sont levés d'un seul coup. L'homme s'avance très lentement, saluant d'un geste lent, épiscopal, dans un tonnerre assourdissant de « Heil » rythmés. (Je n'entends bientôt plus que les cris rauques de mes voisins sur un fond de tempêtes et de battements sourds). Pas à pas il s'avance, il accueille l'hommage, le long de la passerelle qui mène à la tribune. Pendant six minutes, c'est très long... Ils sont dressés, immobiles et hurlant en mesure, les yeux fixés sur ce point lumineux, sur ce visage au sourire extasié, et des larmes coulent sur les faces, dans l'ombre... J'ai compris. Cela ne peut se comprendre que par une sorte de frisson et de battement de cœur – cependant que l'esprit demeure lucide - ; ce que j'éprouve maintenant, c'est cela qu'on doit appeler l'horreur sacrée. » Anaïs T.

 

dimanche 10 février 2013

Doggy bag, de Philippe Djian****


Doggy bag, jeu de massacre
Lu le 10 janvier 2013

Doggy bag, saison 1 à 6, de Philippe Djian
roman français, 2005-2008 (éd.10/18), 1484 p.


«  L'énorme lustre rompit ses amarres avant que quiconque ne parvînt à s'enfuir. Il explosa sur le sol au milieu des hurlements et des stands. Il y avait des blessés. La jeune femme qui exposait bien malgré elle sa culotte une seconde plus tôt avait à présent les reins transpercés par un éclat de verre de la taille d'une faux épaisse. » (Doggy bag saison 6, p.461)

Alors voilà : Doggy bag, c'est l'histoire d'une famille de dingues, tous plus névrosés les uns que les autres, de la septuagénaire qui veut se venger de son infidèle de mari au susdit mari, menteur et manipulateur hors pair qui, sur le tard, et comme pour mieux contrarier encore sa colérique épouse, se transforme en bon samaritain, pire, en créature sainte avec élévations mystiques et tout le bazar évangélique... C'est aussi David et Marc, sortes de Caïn et Abel post-modernes, deux frères qui se retrouvent et se déchirent, autour d'Edith, femme fatale si convoitée, et si vide et quelconque aussi... Les personnages sont tous plus savoureux les uns que les autres, comme Catherine, vamp nymphomane qui ne sort qu'en Louboutin et tenue Vivienne Westwood, Béa, secrétaire impeccable et amoureuse sacrificielle dans l'indifférence générale, ou encore Roberto, éternel perdant, suiveur, oublié des frères solaires, jusqu'au jour où il devient l'amant vénéré de Sonia, la fille de l'un d'eux...
Philippe Djian a écrit sa série romanesque comme une série télévisée : des rebondissements rocambolesques à chaque fin de chapitre ou presque et surtout, et c'est sans doute ce qui procure la couleur ironique si particulière de ce texte, des catastrophes qui s'abattent régulièrement et sans pitié sur notre petit monde. La famille Solens subit, entre autres et tour à tour, une inondation cataclysmique, un attentat dans un grand magasin la veille de Noël, l'incendie, des voisins apprentis sorciers, la canicule, le froid extrême, et même une attaque d'ours ! Il faut voir comment une petite communauté de paroissiens guidée par son prêtre plein de bons sentiments se fait littéralement exterminer par ce plantigrade un jour de promenade dans les bois !Derrière chacune de ces situations cocasses et grandguignolesques, on devine le sourire régalé de l'auteur, qui parvient comme personne à nous transmettre son plaisir de l'écriture.
Bref, Doggy bag c'est au propre et au figuré un jeu de massacre vraiment réjouissant... Anaïs T.

Les Revenants de Laura Kasischke***

Les Revenants et le folklore américain

 Lu le 26 janvier 2013

Les Revenants de Laura Kasischke
roman américain, 2011 (éd.Le Livre de Poche), 663 p.


«  La scène de l'accident était exempte de sang et empreinte d'une grande beauté.
Telle fut la première pensée qui vint à l'esprit de Shelly au moment où elle arrêtait la voiture.
Une grande beauté.
La pleine lune était accrochée dans la ramure humide et nue d'un frêne. L'astre déversait ses rayons sur la fille, dont les cheveux blonds étaient déployés en éventail autour du visage. Elle gisait sur le côté, jambes jointes, genoux fléchis. On eût dit qu'elle avait sauté, peut-être de cet arbre en surplomb ou bien du haut du ciel, pour se poser au sol avec une grâce inconcevable. » (extrait du Prologue, p.11)

Avec ce début, qui n'est pas sans rappeler une séquence à la fois magnifique et insupportable du Sailor et Lula de Lynch, où un accident de voiture est montré comme une vision onirique un bref instant, avant de redevenir ce qu'il est, une scène d'horreur et de mort, l'auteur nous plonge une fois encore dans un certain folklore américain. Les Etats Unis en effet, en tant que jeune nation, ont une mythologie qui leur est propre et qui ne se confond pas avec les récits mythiques qui fondent notre culture de ce côté de l'océan. Là-bas, pas d’Oedipe, de Médée ou d'Atrides mais un folklore tout de même, fait de campus universitaires et de fraternités aux noms grecs, de cheerleaders blondes, de bibliothèques hantées et de fantômes d'adolescents...
Si ce roman est une vraie réussite, ce n'est pas parce que Laura Kasischke réunit tous ces ingrédients vampiro-adolescento-gossipo-américains, mais parce qu'elle parvient très subtilement à analyser ces ficelles de l'intérieur. L'un de ses personnages, Mrs Polson, avatar de l'auteur elle-même, se livre en effet à des travaux de recherche sur le thème des légendes universitaires et autres vampires gloutons d'étudiantes blondes et majores de promotion...
Laura Kasischke s'était attaqué déjà au folklore américain avec Rêve de garçon en 2007 : un pur chef d’œuvre, dans une veine proche du Virgin Suicides de Jeffrey Eugénides. Les Revenants est, à mon sens, un peu moins réussi, mais c'est néanmoins un très bon roman, et il s'agit de ne pas se laisser prendre par son titre, volontairement populaire. Avec Les Revenants, on est plus près de la satire sociale que du roman de pré-ado, plus dans l'esprit de Tom Wolfe et de son Moi, Charlotte Simmons (2004), que de Buffy ou autres Twilight... c'est toute l'hypocrisie américaine qui est montrée du doigt, et en particulier celle de son élite universitaire...    Anaïs T.



Du même auteur:

 Rêves de garçon, un pur chef d’œuvre
A moi pour toujours, petit roman aux ficelles si grosses qu'on peut franchement s'en passer !
En un monde parfait, ou comment passer le traditionnel récit post-apocalyptique à la moulinette du récit fleur bleue...












 

Les Caractères sexuels secondaires, de Tania de Montaigne*

Les Caractères sexuels secondaires, gourmandise sucrée-salée

 Lu le 4 février 2013

Les Caractères sexuels secondaires de Tania de Montaigne
roman français, 2009 (éd.Pocket), 217p.


«  Dans le livre des femmes comme tout le monde, les gens se nomment Debra Sanders ou Matt McGraw et c'est rassurant. Ils vivent dans le Colorado et possèdent une bonne assurance-vie, des parents croyants mais très ouverts, un ou deux abats-jours à fleurs. » (p.51)

« Dans la vie des femmes comme tout le monde, il n'y a pas de si, il y a la certitude, toujours, il y a l'intuition féminine. La femme comme tout le monde est anticipation, réaction, pouvoir mystérieux.
Elle dit : Oh toi, tu me caches quelque chose.
Elle dit : Je sais très bien ce que tu penses. 
Elle dit : J'ai tout deviné Tommy, je vois très bien où tu veux en venir.
La femme comme tout le monde comprend tout en un regard, elle devine, elle pressent.
J'ai trente quatre ans moins trente minutes et je ne pressens pas grand chose. » (p.159)

Après Patch, Geneviève ou la théorie du cinq et Tokyo c'est loin, c'est avec gourmandise que j'ai retrouvé la plume sucrée-salée de Tania de Montaigne, un dessert pas si réconfortant que ça...
Doit-on employer le terme à la mode d' « autofiction » ? Sans doute, oui, mais au sens large, Tania ne parle pas seulement d'elle, mais de nous toutes, car oui, c'est un roman pour filles, et qui s'assume bien parce qu'on est loin des bêtises pintadières !
Je ne sais pas si Tania de Montaigne a une mère qui vit au douzième étage d'un immeuble à l’ascenseur peu fiable, je ne sais pas si sa grand-mère fumait des cigarettes en disant « y a pas à tortiller », et je ne sais pas non plus si faire semblant de maitriser le morse est une habitude chez elle, mais ce que je sais en revanche, c'est que ses préoccupations et ses soucis de femme de trente quatre ans, je les partage. Comment en effet ne pas sans cesse comparer ce qu'on est devenue en tant qu'adulte, à l'image – lointaine – que l'on s'en faisait plus jeune... Est-on à notre tour devenue une « femme comme tout le monde », ou bien fait-on semblant, ou au moins essaye-t-on de donner le change... ? Bref, lire Les Caractères sexuels secondaires, c'est se faire plaisir en donnant un peu dans la littérature de nanas, et en savourant ici et là de jolis effets de style, mais c'est aussi faire un petit point sur toutes nos petites crises et hypocrisies du quotidien. Pas si superficiel que ça.   Anaïs T.

Désolations, de David Vann***


Désolations, tragédie du monde moderne
Lu le 10 février 2013

Désolations de David Vann
roman américain, 2011 (éd.Gallmeister), 326p.


«  Une nouvelle concentration derrière son œil droit, une faille géologique, les os de son crâne semblables à des plaques tectoniques mobiles, leurs bords crissant les uns contre les autres. Chaque jour son unique but ne consistait plus qu'à survivre à la journée, chaque nuit d'insomnie, son unique but ne consistait plus qu'à survivre à la nuit. Réduite à sa propre existence, à une simple survie, et il y avait peut-être du bon dans tout cela, quelque chose d'honnête. » (p.228)

Ce roman propose une version modernisée et américaine de la tragédie grecque...

Un seul lieu, l'Alaska, tout en hostilité et en agressivité, des moustiques aux pluies glaciales, et que tous les personnages du roman ou presque cherchent à fuir... sauf Gary, la cinquantaine, universitaire raté, comme passé à côté de sa propre vie, et qui n'a plus qu'un seul rêve, qu'un seul objectif, qu'une seule obsession : vivre dans une cabane de trappeurs, construite de ses propres mains, sur une petite île, au beau beau milieu d'un lac sauvage.
Une seule action, la construction de cette cabane, malgré le froid, l'amateurisme, et la migraine épouvantable de son épouse, Irène, embarquée bien malgré elle dans cette folie qu'elle ne comprend pas. Rondin après rondin, clou après clou, une fenêtre, puis une porte, c'est en réalité à une déconstruction que l'on assiste, une démolition, celle de leur mariage d'abord, puisqu'à l'aube de cette retraite du monde, Irène et Gary réalisent à quel point ils ne se comprennent pas, à quel point ensemble, ils se sont trompés. Rondin après rondin, clou après clou, dans la douleur de la migraine, c'est la rancœur qui s'exprime, d'abord dans le silence des crânes, puis haut et fort, dans une violence éclatante.
Un seul temps, celui de fabrication de la cabane, dont chaque coup de marteau, répercuté violemment dans nos cerveaux comme dans celui de la migraineuse Irène, nous rapproche un peu plus du dénouement, tragique, forcément.

Un roman qui travaille le mythe moderne du retour au source, la promesse du bonheur retrouvé au plus près de la nature, mais cet idéal est discrètement et très sûrement sapé de l'intérieur par les portraits subtils que l'auteur fait, en particulier des personnages secondaires. Les chiens prennent des bains antipuces chez le vétérinaire, les messieurs cultivent la beauté de leur corps grâce à de coûteux appareils de musculation , les femmes se font emmener sur les magnifiques glaciers à coup de voyages en hélicoptères hors de prix, jusqu'à notre Gary et son rêve de vie rustique, qui manque de chavirer sur le lac à force d'entasser sur son zodiac des boîtes de conserves pour son île... La représentation sans concessions d'une société occidentale où l'amour n'est plus et qui court à sa perte...        Anaïs T.