Achevé
le 22
janvier
2015
Soumission
de
Michel
Houellebecq
roman
français, 2015
(éd. Flammarion),
300
p.
«
Dimanche 29
mai.
Je
me réveillai vers quatre heure du matin, lucide, l'esprit aux
aguets ; je pris le temps de faire soigneusement ma valise, de
réunir les éléments d'une pharmacie portative, des vêtements de
rechange pour un mois ; je retrouvai même des chaussures de
marche – des chaussures high-tech que je n'avais jamais utilisées,
que j'avais achetées un an auparavant en m'imaginant que j'allais me
lancer dans la randonnée pédestre. J'emportai également mon
ordinateur portable, une réserve de barres protéinées , une
bouilloire électrique, du café soluble. A cinq heure et demi,
j'étais prêt à partir. Ma voiture démarra sans difficulté, les
portes de Paris étaient vides ; à six heures, j'approchai déjà
de Rambouillet. Je n'avais aucun projet, aucune destination précise ;
juste la sensation très vague que j'avais intérêt à me diriger
vers le Sud-Ouest ; que, si une guerre civile devait éclater en
France, elle mettrait davantage de temps à atteindre le Sud-Ouest.»
(p.125)
Non,
Soumission
n'est pas un roman islamophobe, ce n'est même pas vraiment une
satire de l'Islam et de ses préceptes pour la vie civile, encore
moins une espèce de texte d'anticipation politico-flippant. N'en
déplaise à tous les polémistes de nos petits écrans venimeux,
Soumission
ne sent pas le souffre. Si il faut absolument désigner une cible à
cette supposée attaque houellebecquienne, ce serait les fantasmes
des occidentaux : guerre civile, polygamie, et... et
puis c'est à peu près tout. Parce que notre connaissance de
l'Islam, encore aujourd'hui au XXIème
siècle, alors même que la France est un pays de mixité, de
rencontres,
de mélange, n'est pas beaucoup plus renseignée qu'à la grande
époque de Delacroix, auteur de La
Mort de Sardanapale :
violence
brutale et
sexe débridé.
François,
le héros du roman est un universitaire sorbonnard, spécialiste de
Joris-Karl Huysmans, auteur décadent de la fin du XIXe
siècle. Evidemment, comme à l'accoutumée, Michel
est
François, qui lui-même est Joris-Karl. Nous
sommes en 2022, et les élections présidentielles permettent
l'arrivée au pouvoir du parti de la Fraternité musulmane, et de son
leader Mohammed Ben Habbes. Tout à coup les choses s'accélèrent :
il faut virer son argent sur des comptes à l'étranger, fuir Paris
pour une province lointaine et rassurante, l'université est fermée,
radio et télévision n'émettent plus, François enjambe des morts
dans une
station service, et puis... et puis pschitt. Rien. Ou pas grand
chose. Ben Habbes est un bon gestionnaire, son premier ministre est
l’inoffensif
François
Bayrou, l'université rouvre ses portes et les intellectuels
sont chouchoutés par le pouvoir en place.
C'est
un
peu
comme dans Là-bas
de Huysmans : roman réputé satanique car entièrement conçu
comme une enquête sur les milieux très fermés et dangereux de
l'occultisme et de l'ésotérisme luciférien. Or,
dans
ce texte, finalement, les scènes les plus marquantes
sont celles où les personnages sont à table, autour de bon petits
plats franchouillards
et généreux, cuisinés et servis par l'obligeante matrone... Deux
cents ans plus tard, rien n'a vraiment changé et si, certes, les
femmes dorénavant n'ont plus le droit d'enseigner à l'université,
ma
foi, la collègue maître
de conférence
de
François est aussi une fantastique cuisinière, alors... Parce que
finalement, on n'a pas eu besoin d'attendre l'Islam pour voir des
conduites misogynes dans notre pays. Au
beau milieu du
roman, Rocamadour fait figure d'enclave de préservation du
patrimoine spirituel et patriotique de ce qui fait, soi-disant, la
France : vieilles pierres, dévotion à Marie, choeurs
catholiques et spécialités
du
terroir
cuisinées
par l'ex-thésarde,
silencieuse et aux petits soins pour ces messieurs.
On
peut aussi voir le personnage principal de Soumission
comme un autre Meursault, L'Etranger
d'Albert Camus : « maman », n'est pas morte
aujourd'hui mais il y a plusieurs semaines, et son émotion, quand il
l'apprend, n'est pas plus vive que celle de Meursault ; comme
celui-ci aussi il traverse la société en posant sur elle un regard
indifférent, uniquement guidé par ses sensations : la faim, le
désir sexuel, et puis aussi, peut-être, par une vague curiosité
pour ce qui se passe autour de lui, sans plus...
Pragmatique, François
se convertira sans
doute :
l'Islam au pouvoir est permissif, il pourra toujours toujours
savourer en connaisseur quelques grands crus ; l'Islam au
pouvoir est généreux : son salaire se voit considérablement
augmenté ; l'Islam au pouvoir est conciliant : son statut
et son salaire lui permettront d'avoir deux, ou trois jeunes épouses,
et d'oublier ainsi sa misère affective et sexuelle, marque des héros
de Houellebecq. Alors ma foi, la cause des femmes... Bref,
les musulmans ne prendront pas ombrage de ce roman plus drôle que
sérieux, qui en définitive est un roman très bien fichu, très
littéraire, nourri de références et qui dénonce avant tout les
fantasmes, la bêtises et l'hypocrisie de l'élite intellectuelle de
notre pays, égocentrée et opportuniste... Alors oui, il faut lire
Soumission,
parce que c'est seulement un bon roman ! Anaïs T.