Lecture
achevée en mai 2016
Bloody
Miami
de
Tom Wolfe
roman
américain, 2013
(éd.Pocket), 820p.
L'homme
au costume blanc a encore frappé de sa plume acérée : après
avoir évoqué le monde sans pitié des traders new-yorkais dans Le
Bûcher des vanités,
le monde sans pitié des campus américains dans Moi,
Charlotte Simons,
le monde sans pitié des conflits sociaux à Atlanta dans Un
Homme, un vrai,
il se lance dans l'évocation du monde sans pitié des communautés
de Miami dans
Bloody
Miami.
Dire que Wolfe est un nouveau Balzac n'est pas original, mais n'est
pas non plus totalement ridicule, puisque cet auteur réaliste
propose à son tour de se faire témoin de la société de son temps.
Nouveau chapitre donc de cette Comédie Humaine
américaine, Bloody
Miami évoque
cette ville un
peu à part
où les Cubains, les Haïtiens, les Afro-américains et les pâles
gringos
se disputent les rênes du pouvoir.
D'abord,
et ce n'est pas si fréquent, il faut lire ce roman pour son héros.
Le
principal personnage de ce roman est en
effet franchement
savoureux. Présentation : Nestor Camacho est un flic « cubain
cool » de la
brûlante
Miami. Cervelle de la taille d'un petit pois, muscles gonflés aux
stéroïdes, et vêtements toujours choisis une taille trop petite
pour le côté sexy, le flic aux fausses
Ray
Ban
vit toujours chez papa et maman –
et papy et mamie,
dans le quartier cubain de
Hialeah
et est désespérement
amoureux de la belle Magdalena,
qui préfère fricoter avec des Américanos
(comprendre WASP, blancs, riches et socialement reconnus) voire des
mafieux russes pas nets... Les deux personnages se perdent et se
retrouvent, touchent à la gloire et s'écrasent sur le trottoir du
destin social, se relèvent, plus ou moins, illustrant chacun à leur
manière les aléas de la Roue de Fortune.
Autre
intérêt du roman, Tom Wolfe s'attaque au monde de l'art
contemporain et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il en
fait une satire drôlement efficace – le chapitre intitulé « Le
Super Bowl du monde de l'art » est particulièrement
savoureux !
Moralité :
ce n'est sans doute pas le roman le plus abouti de Wolfe, on pourra
lui reprocher une intrigue un peu brouillonne, confuse, ou alors,
comme on l'a fait jadis à la lecture des romans de Zola, on peut
s'offusquer de la langue, gouailleuse, triviale, voire franchement
grossière, mais malgré tout c'est, je crois, un grand roman sur la
nature humaine, d'ores et déjà un classique de la littérature
contemporaine. Anaïs T.
Extrait :
« La
silhouette curieusement rosâtre de Miami s'élevait lentement à
l'horizon, brûlée par les rayons du soleil. A strictement parler,
Nestor ne voyait pas tout cela – la lueur rosâtre, l'éclat du
soleil, le bleu vide du ciel, les éclairs des reflets – mais il
savait
qu'ils étaient là.Il ne pouvait pas vraiment les voir parce que,
bien sûr, il portait des lunettes de soleil, pas noires, mais les
plus noires,
magno noires,
supremo noires,
avec une barre imitation or reliant les verres sur la partie
supérieure. Celles de tous les flics cubains cools de Miami... 29,95
dollars chez CVS... une barre en or baby ! Tout aussi cool, son
crâne rasé avec juste une petite hélisurface plate de cheveux au
sommet. Encore plus cool, son cou de taureau – plus cool et pas
facile à obtenir. Il était maintenant plus large que sa tête et
semblait fusionner avec ses trapèzes... là.
Des ponts de lutteur, baby, et des haltères ! Un harnais de
tête avec des poids – voilà le truc ! Sur un gros cou, une
tête rasée ressemblait à celle d'un lutteur turc. Autrement elle
avait l'air d'un bouton de porte. Il n'était qu'un gamin maigrichon
d'un mètre soixante-dix quand il avait commencé à rêver d'entrer
dans la police. » (p.38-39)
Le quartier cubain de Miami : Hialeah
"Hialeah... au cœur de la nuit... une silhouette dans l'obscurité rangée après rangée après rangée après rangée après bloc après bloc après bloc de petites maisons de plain-pied, chacune presque semblable à sa voisine, toutes à cinq mètres de distance l'une de l'autre, chacune sur un lopin de quinze mètre sur trente, chacune avec une allée en ligne droite... depuis le grillage entourant d'une fortification le moindre centimètre carré de la propriété de chacun... des jardins de devant en béton solide comme du roc..." (p.90)
"Délicatement, précautionneusement, il se traina à petits pas jusqu'au salon et s'approcha d'une des fenêtres qui s'ouvraient sur la façade de la maisonnette pour regarder les femmes. C'était samedi matin et elles étaient déjà dehors à arroser leurs cours bétonnées d'un bout à l'autre de la rue. Les hommes auraient préféré mourir que de se faire surprendre avec un de ces tuyaux d'arrosage à la main. C'était un boulot de femme. La première chose que ferait sa mère quand elle se lèverait : nettoyer à grande eau leur jardinet dur comme le roc de quinze mètre sur six. Dommage que l'eau ne fasse pas pousser le béton. A l'heure qu'il était, leur cour aurait compté cinquante étage de haut."(p.101)