dimanche 12 juin 2016

Eldorado de Laurent Gaudé**


Achevé le 12 juin 2016

Comme un mauvais goût dans la bouche …

Eldorado de Laurent Gaudé
roman français, 2006 (éd. J'ai lu), p.220



Parce que dans quelques jours j'interrogerai des candidats pour les oraux du bac de français, je me suis mise à jour, comme chaque année, avec les quelques œuvres inconnues de moi étudiées en classe par des collègues de lettres... Certains d'entre eux ont choisi de faire lire à leurs élèves non pas les traditionnelles Liaisons dangereuses ni Voyage au bout de la nuit, mais des œuvres contemporaines. Pourquoi pas, même si je suis persuadée que si nous connaissons par cœur Céline ou Laclos, ce n'est pas le cas de nos élèves... enfin, j'avais été l'année dernière bluffée de constater à quel point Les Particules élémentaires de Houellebecq – que j'adore par ailleurs – se prêtait bien à une étude analytique dans le cadre de la classe de première , alors pourquoi pas Laurent Gaudé, même si, je l'avoue, c'est déjà nettement moins ma tasse de thé !
Je viens donc de lire Eldorado, et il m'en reste comme un mauvais goût dans la bouche... Culpabilité, mauvaise conscience, honte de l'occidental nanti, parce qu'avec ce roman on rencontre la vraie violence, la vraie misère humaine, renvoyant tous les Stephen King, les Harlan Coben ou les Chuck Palahnuik à leurs fictions sanguinolentes et fantasmées. Ici, c'est l'horreur de la réalité. Celle des migrants qui perdent tout, y compris parfois, mais pas toujours, leur humanité pour atteindre leur Eldorado, notre Europe qu'ils imaginent si belle et si parfaite, terre promise qu'ils n'atteignent que presque jamais... Dans le roman, des passeurs avides d'argent, des barques surpeuplées perdues dans la tempête, des bébés morts de soif, un capitaine de bateau qui se fait migrant à son tour, Souleyman et Boubakar qui veulent y croire encore, l'un pour son frère qui n'a pas pu le suivre, l'autre parce qu'il est parti depuis sept ans déjà et puis aussi Massambalo, le mystérieux dieu de tous les malheureux qui décident de tenter ce voyage désespéré.
Alors oui, c'est un texte très beau et parfaitement maitrisé, et oui c'est une bonne chose de donner cela à lire à nos élèves. Mais en ce qui me concerne, j'ai hâte d'entamer un nouveau roman de Daphné du Maurier ou de Joyce Carol Oates, de me débarrasser de ce goût amer, pour une tasse de thé plus sucrée ! Anaïs T.

extrait :
« Le premier mort fut un Irakien d’une vingtaine d’années. D’abord, personne ne sut que faire, puis les hommes décidèrent qu’il fallait jeter les morts à la mer. Pour faire de la place et éviter tout risque d’épidémie. Bientôt, ces corps plongés à l’eau furent de plus en plus nombreux. Ils passaient par-dessus bord les uns après les autres et chacun se demandait s’il ne serait pas le prochain. Elle serrait de plus en plus fortement son enfant dans ses bras, mais il semblait ne plus rien faire d’autre que dormir. Une femme, à côté d’elle, lui tendit une bouteille dans laquelle il restait quelques gouttes d’eau. Elle essaya de faire boire le nourrisson mais il ne réagit pas. Elle lui mouilla les lèvres mais les gouttes coulèrent le long de son menton. Elle sentait qu’il partait et qu’il fallait qu’elle se batte bec et ongles. Elle l’appela, le secoua, lui tapota les joues. Il finit par râler, distinctement. Un petit râle d’enfant. Elle n’entendait plus que cela. Au-dessus du brouhaha des hommes et du bruissement des vagues, le petit souffle rauque de son enfant lui faisait trembler les lèvres. Elle supplia. Elle gémit. Les heures passèrent. Toutes identiques. Sans bateau à l’horizon. Sans retour providentiel de l’équipage. Rien. La révolution lente et répétée du soleil les torturait et la soif les faisait halluciner.
Elle était incapable de dire quand il était mort.» (p.27)

 une carte du trajet de l'un des personnages principaux du roman réalisée par une élève, travail à découvrir sur http://lewebpedagogique.com/iroiseldorado/2011/02/08/geographie-le-parcours-de-soleiman/



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Qu'en pensez-vous ?