dimanche 6 juillet 2014

Santa Evita de Tomas Eloy Martinez**


"Il faut interdire ce roman, ou le lire toute affaire cessante"    Mario Vargas Llosa

Achevé le 25 juin 2014

Santa Evita de Tomas Eloy Martinez
roman argentin, 1995 (éd. « pavillons poche » robert laffont), 577p.



« - Je me pose des questions, commente Galarza. Cette femme, le corps, c'est une momie non ? Elle est morte il y a trois ans. A quoi elle sert ? On pourrait la balancer d'un avion au milieu du fleuve. Ou la fourrer à l'intérieur d'un sac de chaux vive, dans la fosse commune. Personne ne la réclame. Et si quelqu'un le fait, on n'est pas obligés de répondre.
- L'ordre vient d'en haut, explique le colonel. Le Président exige qu'on lui donne une sépulture chrétienne.
- A cette jument!s'exclame Galarza. Qui nous a foutu la vie en l'air !
- Elle nous a gâché la vie, acquiesce le colonel. Certains pensent qu'elle les a sauvés. Il faut se couvrir.
- C'est peut-être trop tard, dit Arancibia, le fou. Il y a encore deux ans, c'était encore possible. On tuait l'embaumeur et le corps aurait pourri tout seul. Maintenant ce corps est devenu trop grand, plus grand que le pays. Il est plein à ras bord. Peu à peu, nous y avons tous mis quelque chose : la merde, la haine, l'envie de tuer de nouveau. Et comme l'affirme le colonel, il y a aussi des gens qui y ont mis leur désespoir. Ce corps fait désormais l'effet d'un dé pipé. Le Président a raison. Il vaut mieux l'enterrer. Sous un faux nom, ailleurs, jusqu'à ce qu'il disparaisse. » (p.214)



Evita, c'est le conte de fées d'une obscure petite actrice devenue première dame d'Argentine et icône populaire dans les années 40. A sa mort, le peuple réclame au pape sa canonisation. Voilà pour la facette dorée. La réalité a sans doute été moins glorieuse : Perón n'avait rien d'un humaniste, et Eva Perón avait le talent de la propagande et de la mise en scène, au service très conscient de la construction de son propre mythe.
Pourtant, la fascination argentine pour Evita trouve son explication ailleurs, ou plutôt après : à sa mort – la jeune femme n'a que 33 ans quand elle est victime d'un cancer de l'utérus – celle dont la dernière volonté était que l'on protège son corps de toute profanation est embaumée. D'abord exposé au QG de la CGT, objet d'un presque culte, son corps est ensuite volé et l'on perdit sa trace pendant seize ans.
Le roman de Tomas Eloy Martinez est construit comme une enquête historique : il s'agit pour lui de suivre à la trace ce corps, de mains en mains, de cachette en cachette, de fou en fou. Parce que la proximité de corps parfait dans sa rigidité morbide, de cette beauté figée et mystérieuse semble avoir le mystérieux pouvoir de rendre fous d'amour tous ces militaires anti-peronistes qui tour à tour en ont la garde. L'auteur, en parallèle, revient sur les principaux épisodes de la vie d'Eva Duarte, tachant, avec le plus de sincérité possible, de redonner une substance historique au mythe. Evita, adulée, haïe, fascine. Et ce très beau roman prolonge à merveille cette ambivalente fascination pour Evita.     Anaïs T.

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