samedi 27 avril 2013

Fuck America de Edgar Hislenrath


Fuck America, un détour pas franchement  obligatoire !

Achevé le 26 avril 2013

Fuck America de Edgar Hilsenrath
roman allemand, 1980 (éd.Le Livre de Poche), 281p.

«  « Mary Stone » dis-je. « J'ai encore d'autres problèmes, des problèmes plus concrets et qui n'ont rien à voir avec ma peur orginelle. »
« Quels problèmes ? »
« Les problèmes concrets d'un écrivain inconnu et crève-la-faim, mais surtout les problèmes d'un écrivain allemand d'origine juive dans un pays étranger, un pays que je ne comprends pas et qui ne me comprend pas. »
« L'Amérique, c'est la terre promise ! »
« L'Amérique est un cauchemar »
« Pour des gens comme Jakob Bronsky peut-être ? »
« C'est cela, Mary Stone ». »



Je ne dirai pas de bien de Fuck America, je suis passée complètement à côté de ce texte, tout en dialogues, qui raconte l'histoire de Bronsky, double sans doute de l'auteur Hilsenrath, émigré juif allemand perdu dans New York, marqué par la seconde guerre mondiale, et dont l'idée fixe est d'écrire son roman, Le Branleur. Semi-clochard, Bronski vit de petites combines et de divers expédients, dialogue avec d'autres paumés, et rêve de rencontrer une secrétaire de direction pour assouvir urgemment ses besoins sexuels. Je reconnais qu'avec ce roman la Shoah est abordée d'une façon très neuve, mais de là à crier au génie, il y a un monde !       Anaïs T.


vendredi 26 avril 2013

Sukkwan island de David Vann ***


Sukkwan island, roman d'horreur
Achevé le 25 avril

Sukkwan island de David Vann
roman américain, 2010 (éd.Gallmeister), 200p.

« Roy ressassait le discours de son père, et la personne à ses côtés lui semblait être un père bien étrange. Plus que toute autre chose, c'était le ton de sa voix, comme si la création du monde menait invariablement vers le Gros Plantage. Mais Roy évitait de trop réfléchir. Il avait vraiment envie de dormir.
La neige s'installa à plus basse altitude, et ils cessèrent de pêcher, d'utiliser le fumoir ou de couper du bois.
On est parés de toutes façons, fit son père. Il est temps de s'installer et de se détendre. Il faudra environ deux semaines avant que je pète les plomb.
Quoi ?
Je plaisante, dit son père. C'était une blague. » (p.94)



         Le personnage principal de Sukkwan Island est Jim, le dentiste coureur de jupons et foncièrement égocentré, que l'on avait croisé déjà, en tant que personnage secondaire cette fois, dans Désolation (cf ma critique). Sukkwan island a été écrit avant Désolation mais la chronologie est inversée, et on retrouve cet homme aussi torturé qu'antipathique quelques années plus tard, alors que, divorcé et un peu perdu, il décide de vivre une expérience unique avec Roy, son fils de treize ans. Vivre, ou plutôt survivre une année entière sur une île déserte et sauvage, au sud de l'Alaska.
            On apprécie dans ce roman tous les ingrédients de Désolations : le rêve d'une île déserte, le retour aux sources et à la vie sauvage, la cabane en rondins, les migraines obsédantes, le froid, la neige, le suicide et le meurtre. Le roman est terriblement efficace, on souffre avec Roy, l'adolescent qui n'avait rien demandé et qui se laisse embarquer dans la folie dangereuse de son père. Le roman est tout en tension, et l'on sait que l'on s'achemine, comme dans une tragédie de Sophocle, vers le drame. Et le drame a lieu à la fin de la première partie. Il est insupportable - et je pèse mes mots - ce qui finit par se produire est terriblement choquant. L’événement aurait pu coïncider avec la fin du roman, mais David Vann a pris un autre parti. Il ne cède pas à la facilité de clore son texte ainsi mais, sans ménager ni la pudeur, ni la sensibilité du lecteur, il reprend le cours de son récit, et comme assommé par tant d'horreur, le lecteur passif comprend qu'il devra boire le calice de l'abomination jusqu'à la lie... 
            Un très bon roman, mais à ne pas mettre entre toutes les mains, tant David Vann va loin dans le récit de la folie furieuse et de ses conséquences sordides...  
Anaïs T. 

 

Persécution d'Alessandro Piperno**


Persécution, ou les ravages de la peur 

Achevé le 20 avril

Persécution de Alessandro Piperno
roman italien, 2010 (éd.Le Livre de Poche), 499p.

«  Ironie du sort, Leo a choisi pour s'agenouiller le petit bout de terrain où quelques mois plus tôt, à la fin de la date d'anniversaire de Samuel, il avait accueilli les parents de Camilla en leur demandant de ne pas bouger pour qu'il puisse les photographier. C'est ainsi que Leo s'agenouille à l'endroit même où il a pu auparavant jouir du doux sentiment de supériorité que lui avait inspiré la vue de ces deux rustres embarrassés. La situation est maintenant résolument renversée, et à son désavantage. Maintenant c'est lui qui doit avoir honte. C'est lui qui est à leur merci. Lui qui dépend de leur bon plaisir. Avec la même bonne grâce qu'ils s'étaient mis à la disposition de son appareil photo il se met maintenant à la disposition de leur pistolet.  » (p.245)


Leo Pontecorvo a tout pour lui : pédiatre adoré de ses patients et de leurs parents, sommité reconnue du monde de la médecine, mari fidèle, père de deux beaux garçons, vivant dans une jolie maison de la banlieue romaine, c'est un bel homme, sûr de lui et plein d'esprit. Jusqu'à sa rencontre avec Camilla. Camilla a douze ans et tombe amoureuse de lui, puis, frustrée de cet amour sans retour, elle transforme sa vie en enfer, en l'accusant d'une conduite inappropriée. Contre toutes attentes, Leo s'effondre : la peur le submerge, il ne réagit pas, ne se défend pas, et finit par se terrer dans le sous-sol de sa maison, impuissant témoin de sa vie toute entière qui s'effondre. Dans cette solitude, c'est à son propre passé qu'il se heurte, à toutes ses violences et ses frustrations bien enfouies, bien oubliées : son enfance de petit garçon juif au moment de la deuxième guerre mondiale, ses parents sur-protecteurs, sa rencontre avec son épouse, issue d'un milieu bien différent du sien, la froideur de celle-ci, et ses austères principes aussi, la bizarrerie de son fils ainé, et tout bien réfléchi, l'étrangeté du deuxième aussi...
Une quête introspective sans concession, qui ne peut laisser le lecteur indifférent à la misérable histoire du docteur Pontecorvo... Piperno a semble-t-il tout pour devenir un grand auteur de la littérature contemporaine. A noter, Persécution est le premier volet d'un diptyque intitulé : « Le feu ami des souvenirs », le second tome est Inséparables, que je vais m'empresser de me procurer !                        Anaïs T.



dimanche 21 avril 2013

Mes petits bouquins: Mes romans préférés

Mes petits bouquins: Mes romans préférés: Voilà, dans le désordre et avec la certitude d'en oublier beaucoup, mes romans préférés...

Bellefleur de Joyce Carol Oates***


Bellefleur, patchwork précieux

achevé le 4 avril 2013

Bellefleur de Joyce Carol Oates
roman américain, 1980 (éd.Le Livre de Poche), 971p.

«  Ainsi disparut-il finalement dans la chambre Turquoise. Il y entra, un soir, après le diner et n'en ressortit jamais ; il disparut, tout simplement. Les fenêtres étaient non seulement fermées mais verrouillées de l'intérieur. Il existait des passages secrets permettant de sortir de deux ou trois autres chambres du château (dont l'une était le bureau de Raphaël) mais aucun couloir de ce genre ne partait de la chambre turquoise. Le garçon avait simplement disparu. Il n'existait plus. Il n'y a avait aucune trace, aucun message d'adieu, aucune remarque finale, lourde de signification, n'avait été prononcée : Samuel Bellefleur avait simplement cessé d'exister. » (p.367)



    Avec Bellefleur, Joyce Carol Oates compose un texte bien loin de ce qu'on a l'habitude de lire aujourd'hui, quelque part entre le roman gothique du XIXème siècle anglais – on pense aux sœurs Brönte avec délice - et le réalisme magique des romanciers d'Amérique du Sud – Gabriel Garcia Marquez, ou même Isabel Allende. Aux premiers elle emprunte l'atmosphère lugubre des manoirs labyrinthiques et la folie douce des vieilles familles aristocratiques, aux seconds l'art de retracer l'histoire d'une terre, d'un pays, ici les grands espaces nord-américains, des premiers heurts avec les Indiens à l'industrialisation du XXème siècle, à travers l'histoire particulière d'un même clan, les Bellefleur, tous plus atypiques et pittoresques les uns que les autres : Jededhiah, ermite fou de Dieu en errance dans les montagnes enneigées, Germaine, la fillette aux pouvoirs magiques, Raphaël transformé après sa mort en peau de tambour, ou encore Jean-Pierre II, le tueur en série...
     Dans le roman, l'un des personnages, une vieille cousine Bellefleur, fabrique de très précieuses couvertures en patchwork, et ce motif pourrait servir de mise en abyme à l'écriture du roman tout entier. Joyce Carol Oates en effet, ne choisit pas la linéarité chronologique, mais plutôt, dans une quête plus esthétique que pragmatique, coud les uns à côté des autres une petite centaine de petits récits, comme autant de morceaux d'étoffes et de tissus plus chatoyants les uns que les autres, et l'ensemble prend au fur et à mesure de la lecture, tout son sens, et la malédiction funeste qui pèse sur la famille devient à la fois plus manifeste et plus mystérieuse, jusqu'au coup du sort final, grandiose...
     Très loin de Blonde consacré à Marylin ou du très beau Les Chutes, évocation sans concession de l'Amérique des années 50, Bellefleur, comme hors du monde et du temps, n'en est pas moins, à mon sens un bijou littéraire.  Anaïs T.