Sur les pas d'un privé dans le Berlin des années 30-40
Achevé
le 10
juin 2014
La
trilogie berlinoise
de
Philip Kerr
roman
anglais,
1989-1990-1991
(éd.le
livre de poche),
1015p.
« Ce
soir-là, on eût dit que tout Berlin s'était donné rendez-vous à
Neukölln, où Goebbels devait parler. Comme à son habitude, il
jouerait de sa voix en chef d'orchestre accompli, faisant alterner la
douceur persuasive du violon et le son alerte et moqueur de la
trompette. Des mesures avaient par ailleurs été prises pour que les
malchanceux ne pouvant pas aller voir de leurs propres yeux le
Flambeau du peuple puissent au moins entendre son discours. En plus
des postes de radio qu'une loi récente obligeait à installer dans
les restaurants et les cafés, on avait fixé des haut-parleurs sur
les réverbères et les façades de la plupart des rues. Enfin, la
brigade de surveillance radiophonique avait pour tâche de frapper
aux portes des appartements afin de vérifier si chacun observait son
devoir civique en écoutant cette importante émission du parti. »
(p.85)
Il
y a dans les polars de Philip Kerr
tous les ingrédients du polar : une bonne dose d'affreux
bandits, un soupçon de femmes fatales, des trahisons, des
macchabées,
et surtout, en guise de héros, un détective privé délicieusement
cynique et à la verve volontiers ironique :
« A côté du
décorateur qui avait conçu l'agencement de l'appartement,
l'archiduc Ferdinand semblait avoir autant de goût qu'un nain de
cirque turc. » (p.88)
« Tu
ferais vomir une mouche à merde. » (p.149)
« Vous sentez
tellement le poulet que vous en avez presque les plumes. »
(p.172)
« Un froid de
devanture de boucherie m'envahit le haut du corps. » (p.292)
Pourtant, L'été
de cristal, La
pâle figure
et Requiem allemand
ne sont pas des romans noirs au sens classique
du terme, car ce n'est pas dans les rues de Chicago ou
de L.A. que Bernie
Gunther traine son pardessus élimé, mais dans celles de Berlin,
dans ses heures les plus sombres : pendant l'installation et la
montée en puissance du IIIe Reich, et en 1947, à travers
l'Allemagne en
ruines. J'ai
trouvé cette trilogie passionnante en cela que nous suivons un homme
auquel nous pouvons nous identifier tout au long de cette période
particulièrement complexe : ces romans nous font vivre de
l'intérieur les problématiques liées à la question des
persécutions contre les
Juifs,
au nazisme, à l'occupation de Berlin par les forces russes,
américaines et françaises, tout cela d'un point de vue allemand. Je
précise quand même que si le premier des trois textes est
relativement (j'insiste
sur l'adverbe!)
léger – Bernie Gunther enquête sur la disparition d'un bijou avec
en toile de fond
les
jeux olympiques berlinois, les suivants sont bien plus sombres, voire
désespérés, ainsi que plus complexes puisque Philip Ker utilise
le genre romanesque pour développer une théorie autour de liens
secrets entre les services secrets alliés et d'anciens nazis, comme
Heinrich Müller. A lire. Anaïs T.