lundi 4 mars 2013

L'Assommoir d'Emile Zola***

L'Assommoir n'a rien d'assommant...


L'Assommoir d'Emile Zola
roman français, 1877 (éd. Le livre de poche), 503p.


« L'alambic, sourdement, sans une flamme, sans une gaieté dans les reflets éteints de ses cuivres, continuait, laissait couler sa sueur d'alcool, pareil à une source lente et entêtée, qui à la longue devait envahir la salle, se répandre sur les boulevards extérieurs, inonder le trou immense de Paris. Alors, Gervaise, prise d'un frisson, recula ; et elle tâchait de sourire, en murmurant: « C'est bête, ça me fait froid, cette machine... la boisson me fait froid... » » (p.91)

L'Assommoir n'a rien d'assommant, ras-le-bol de ce commentaire facile qu'on entend trop souvent ! C'est un beau texte, sans doute l'un des plus réussis de la saga des Rougon-Macquart. Rappelons le projet de Zola, à la toute fin du XIXème : s'inspirant de Balzac, il ambitionne d'écrire, à travers une série de romans, « l'Histoire naturelle et sociale d'une famille sous le Second Empire ». Zola se veut témoin de son époque, mais aussi dénonciateur des inégalités sociales, de la misère ouvrière, de l'hypocrisie bourgeoise,... A chaque roman de la saga, son univers – la mine, les grands magasins, ou encore le monde ferroviaire,... ses dysfonctionnements sociaux – la jalousie, la maladie, l'homicide, … et ses personnages, tous liés entre eux par leur appartenance généalogique. Avec L'Assommoir, il s'attaque au fléau de l'alcoolisme dans le monde des petits ouvriers des faubourgs parisiens, en l’occurrence le quartier de la Goutte d'or.
L'histoire de Gervaise est conçue sur le modèle de la tragédie grecque : l'alcoolisme s'abattra sur elle de manière inévitable, comme le destin incestueux et parricide d’œdipe auquel, malgré tous ses efforts, il n'a pu échapper. Zola, en son temps, a été accusé de voyeurisme et de misérabilisme, pourtant L'Assommoir n'a rien d'un sordide documentaire sur le petit peuple de Paris, c'est une œuvre littéraire extrêmement bien écrite, où le réalisme sans cesse côtoie l'épopée, et où l'argot rencontre les images et les métaphores les plus subtiles... Ah quel bonheur de lire le récit du banquet donné par Gervaise, où les convives dévorent une énorme oie blanche, qui n'est autre que le symbole même de notre héroïne, qui, en toute innocence, est en train de signer sa perte (chapitre VII), ou encore la scène de la visite au Louvre par les personnages principaux, œil égrillard devant les portraits de femmes dénudées, regards admiratifs devant l'or des cadres ou la propreté des parquets et pieds épuisés par les galeries de chefs d’œuvres (chapitre III)! On lit L'Assommoir avec régal, et on aurait tort de s'en priver...


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Qu'en pensez-vous ?