L'Assommoir
d'Emile
Zola
roman
français,
1877
(éd.
Le
livre de poche),
503p.
« L'alambic,
sourdement, sans une flamme, sans une gaieté dans les reflets
éteints de ses cuivres, continuait, laissait couler sa sueur
d'alcool, pareil à une source lente et entêtée, qui à la longue
devait envahir la salle, se répandre sur les boulevards extérieurs,
inonder le trou immense de Paris. Alors, Gervaise, prise d'un
frisson, recula ; et elle tâchait de sourire, en murmurant: « C'est
bête, ça me fait froid, cette machine... la boisson me fait
froid... » » (p.91)
L'Assommoir
n'a rien d'assommant, ras-le-bol de ce commentaire facile qu'on
entend trop souvent !
C'est un beau texte, sans doute l'un des plus réussis de la saga des
Rougon-Macquart.
Rappelons le projet de Zola, à la toute fin du XIXème :
s'inspirant de Balzac, il ambitionne d'écrire, à travers une série
de romans, « l'Histoire naturelle et sociale d'une famille sous
le Second
Empire ».
Zola se veut témoin de son époque, mais aussi dénonciateur des
inégalités sociales, de la misère ouvrière, de l'hypocrisie
bourgeoise,... A chaque roman de la saga, son univers – la mine,
les grands magasins, ou encore le monde ferroviaire,... ses
dysfonctionnements sociaux – la jalousie, la maladie, l'homicide, …
et ses personnages, tous liés entre eux par leur appartenance
généalogique. Avec L'Assommoir,
il s'attaque au fléau de l'alcoolisme dans le monde des petits
ouvriers des faubourgs parisiens, en l’occurrence le quartier de la
Goutte d'or.
L'histoire
de Gervaise est conçue sur le modèle de la tragédie grecque :
l'alcoolisme s'abattra sur elle de manière inévitable, comme le
destin incestueux et parricide d’œdipe auquel, malgré tous ses
efforts, il n'a pu échapper. Zola, en son temps, a été accusé de
voyeurisme et de misérabilisme, pourtant L'Assommoir
n'a rien d'un sordide documentaire sur le petit peuple de Paris,
c'est une œuvre littéraire extrêmement
bien écrite, où le réalisme sans cesse côtoie l'épopée, et où
l'argot rencontre les images et les métaphores les plus subtiles...
Ah quel bonheur de lire le récit du banquet donné par Gervaise,
où les convives dévorent une énorme oie blanche, qui n'est autre
que le symbole même de notre héroïne, qui, en toute innocence, est
en train de signer sa perte (chapitre
VII),
ou encore la
scène de la visite au Louvre par les personnages principaux, œil
égrillard devant les portraits de femmes dénudées, regards
admiratifs devant l'or des cadres ou la propreté des parquets et
pieds épuisés par les galeries de chefs d’œuvres (chapitre
III)! On lit L'Assommoir
avec régal, et on aurait tort de s'en priver...