mardi 9 juillet 2013

Profanes de Jeanne Benameur***


Profanes, l'écriture du refuge

Achevé le 25 juin 2013

Profanes de Jeanne Benameur
roman français, 2013 (éd.Actes Sud), 274 p.

«  Marc sur la route se met à chanter. Quand les souvenirs menacent, il chante. Ça
aussi, il l'a découvert tout seul.
Expulser l'air des poumons.
Ne pas crier. Ne pas hurler.
Chanter. Laisser tout le corps vibrer du ventre jusqu'au crâne et sentir que la voix monte, forte, puissante.
Ses chants n'ont pas de mots. Juste des sons qui s'élèvent, cherchent à rejoindre dans l'air quelque chose qui permet de rester humain. » (p.43)



Octave Lasalle est devenu un grand vieillard. Cet ancien chirurgien, unanimement respecté en tant que professionnel, a connu une vie personnelle plus chaotique. Sa fille unique est morte dans un accident de voiture il y a déjà longtemps, sa femme anéantie, n'a pu se reconstruire avec son époux, qu'elle considère comme en partie responsable de ce malheur, et a retrouvé son Quebec natal, pour recommencer sa vie avec un autre. Au soir de son existence, Octave choisit de s'entourer pour affronter, une bonne fois pour toute, les démons avec lesquels il vit depuis trop longtemps : la cabane au fond du jardin, celle la petite fille jouait et où l'adolescente se réfugiait, qu'il n'a jamais visitée depuis ; l'unique photographie d'elle qu'il possède ; le journal intime de celle qui était en train de devenir une jeune femme, et qu'il n'a jamais osé lire...
Alors Octave s'entoure : il ouvre sa maison à trois femmes et un homme, Hélène, Béatrice, Yolande et Marc. Il les a choisi car chacun, silencieusement, porte des blessures du passé, et cette communauté hétéroclite va se constituer en une sorte de petite arche de Noé, ensemble ils sauront se construire un refuge pour des temps meilleurs, peut-être. Le jardin, les Haïku, le café, autant de petites choses qui, petit à petit, leur rendra force et sérénité – et la cabane s'ouvrira, la photographie deviendra tableau et le journal sera lu...
Si l'intrigue peut rappeler celles de plusieurs roman d'Anna Gavalda – réunir les misères pour aller mieux, l'écriture de Jeanne Benameur n'a rien de commun avec celle de la romancière aux trois best sellers. Chacune des phrases de Profanes est ciselée comme une bijou précieux et pour autant rien de prétentieux ni de bling bling : bien au contraire, le style de Jeanne Benameur emprunte à la simplicité et vérité des Haïku, qu'elle met volontiers en abyme dans son texte. C'est un livre à lire doucement, tout doucement, pour en savourer chaque phrase, chaque mot. Merci à Céline de « Lune et l'autre » de me l'avoir fait connaître ce si beau texte ! Anaïs T.