Profanes, l'écriture du refuge
Achevé
le 25
juin
2013
Profanes
de Jeanne
Benameur
roman
français, 2013 (éd.Actes Sud), 274 p.
«
Marc sur la
route se met à chanter. Quand les souvenirs menacent, il chante.
Ça
aussi,
il l'a découvert tout seul.
Expulser
l'air des poumons.
Ne
pas crier. Ne pas hurler.
Chanter.
Laisser tout le corps vibrer du ventre jusqu'au crâne et sentir que
la voix monte, forte, puissante.
Ses
chants n'ont pas de mots. Juste des sons qui s'élèvent, cherchent à
rejoindre dans l'air
quelque chose qui permet de rester humain. »
(p.43)
Octave
Lasalle est devenu un grand vieillard. Cet ancien chirurgien,
unanimement respecté en tant que professionnel, a connu une vie
personnelle plus chaotique. Sa fille unique est morte dans un
accident de voiture il y a déjà longtemps, sa femme anéantie, n'a
pu se reconstruire avec son époux, qu'elle
considère comme en partie responsable de ce malheur,
et a retrouvé son Quebec natal, pour recommencer sa vie avec un
autre. Au soir de son
existence, Octave
choisit de s'entourer pour affronter, une bonne fois pour toute, les
démons avec lesquels il vit depuis trop longtemps : la
cabane au fond du jardin, celle la petite fille jouait et où
l'adolescente se réfugiait, qu'il n'a jamais visitée depuis ;
l'unique photographie d'elle qu'il possède ; le journal intime
de celle qui était en train de devenir une jeune femme, et qu'il n'a
jamais osé lire...
Alors
Octave s'entoure : il ouvre sa maison à trois femmes et un
homme, Hélène, Béatrice, Yolande et Marc. Il les a choisi car
chacun, silencieusement, porte des blessures du passé, et cette
communauté hétéroclite va se constituer en une sorte de petite
arche de Noé, ensemble ils sauront se construire un refuge pour des
temps meilleurs, peut-être. Le jardin, les Haïku, le café, autant
de petites choses qui, petit à petit, leur rendra force et sérénité
– et la cabane s'ouvrira, la photographie deviendra tableau et le
journal sera lu...
Si
l'intrigue peut rappeler celles de plusieurs roman d'Anna Gavalda –
réunir les misères pour
aller mieux, l'écriture de Jeanne Benameur n'a rien de commun avec
celle de la romancière aux
trois best sellers. Chacune des phrases de Profanes
est ciselée comme une bijou précieux et pour autant rien de
prétentieux ni de bling bling : bien au contraire, le style de
Jeanne Benameur emprunte à la simplicité et vérité des Haïku,
qu'elle
met volontiers en abyme dans son texte. C'est un livre à lire
doucement, tout doucement, pour en savourer chaque phrase, chaque
mot. Merci à Céline de « Lune et l'autre » de me
l'avoir fait connaître ce si beau texte ! Anaïs T.