Lu en janvier 2012
Du
Domaine des murmures
de Carole
Martinez
roman
français, 2011 (éd.nrf Gallimard), 201p.
«
Alors
l'archevêque s'est écroulé, victime d'une simple fronde –
identique à celle avec laquelle il avait dit à mon père avoir tant
joué enfant avant qu'on lui confisquât – et dans sa chute il a
paru se démantibuler, se décomposer en ces éléments qui, quelques
instants auparavant, semblaient déjà avoir tant de difficulté à
tenir ensemble – mitre, crosse, chasuble, visage de bois, regard
brillant et os gantés – et tous ces morceaux sont tombés en tas
les uns sur les autres, comme si ce pauvre pantin n'avait plus eu de
chair du tout et que ce choc final avait coupé les fils de la
panoplie qui parvenait encore tant bien que mal à le contenir. »
(p.148)
Esclarmonde
la jouvencelle aimée follement de son père, pucelle à la belle
dot, se retrouve un jour promise à Lothaire de Montfaucon, « enfant
capricieux à l'habit de métal, formé à tuer, toujours en cotte et
à cheval, et n'en descendant que pour trousser les vilaines dès que
l'envie lui en prenait ». Esclarmonde est obéissante aux
désirs paternels, mais avec l'aide du Christ, elle échappera à ce
mariage. A l'autel, elle refuse cet époux, et se tranche l'oreille
se déclarant déjà offerte au Seigneur et telle une sainte, elle
fait la promesse de passer désormais sa vie pieusement, emmurée
vive dans une petite petite chapelle, à prier pour le salut des
hommes. Le sublime du moment est parachevé par l'entrée miraculeuse
d'un agneau dans l'église... Mais ce miracle n'en est pas un, et le
roman ne se réduira pas au récit du
calvaire
d'une innocente sacrifiée... l’œuvre de Carole
Martinez est bien plus complexe que cela. Esclarmonde, de sa prison
de pierre, de se réduit minuscule, réalise vite à quel point son
pouvoir est grand dans cette société du XIIème
siècle, et de l'infiniment petit à l'infiniment vaste, nous
passons de ce huis clos oppressant aux grands espaces du
Moyen-Orient,
des croisades et de Saint
Jean d'Acre. L'écriture de Carole Martinez est magnifique : tel
un exercice de style parfaitement maîtrisé, elle s'approprie à
merveille la langue et le monde médiéval, pour dépasser très vite
la simple performance stylistique. Le roman soulève finement des
questions complexes, comme celle de la croyance aveugle, en Dieu ou
en son chef de guerre, de la manipulation d'autrui, du pouvoir, du
Bien et du Mal... et l'héroïne Esclarmonde, loin d'être
l'innocente sacrifiée et sanctifiée que l'on imaginait, se révèle
un personnage féminin fort et moderne. Carole Martinez avait exploré
la veine hispanique du réalisme magique en écrivant Le Cœur cousu :
le roman était un chef d’œuvre. Difficile à croire – pour moi en
tous cas, avant de l'avoir lu - mais avec Du
domaine des murmures,
elle
écrit un texte plus inoubliable encore...